« Madame Bovary » : Emma 2015
Pitch
Sortie du couvent, Emma épouse Charles Bovary, médecin de campagne dans un petit village Normand. Mais Emma rêve d'une autre vie et va s'embourber dans des dettes...
Notes
Film en compétition au 41° festival du cinéma américain de Deauville.
Le film fait le choix de l’esthétique et de l’intimisme aux dépends de l’histoire universelle qu’est le chef d’oeuvre de Flaubert, la démonstration de ce qu’on appelle aujourd’hui le Bovarysme. Commençons par la fin qui sera aussi la première image du film : dans une robe de satin couleur cuivrée assortie aux feuilles des arbres en automne, allongée dans la forêt, Emma Bovary vient d’avaler une petite fiole de poison… Mais les lecteurs de Flaubert savent que la mort de MB est et doit être une longue et atroce agonie par ingestion d’arsenic dans leur maison. C’est important à quel point Emma Bovary va souffrir physiquement pour mourir au même titre qu’elle a souffert psychologiquement pour vivre. On dit que Madame B est morte pour une histoire d’argent, ce n’est pas faux mais incomplet, c le dernier volet du récit, ce qui se voit : la honte que l’huissier ait collé sur leur porte un arrêt de saisie, une honte insoutenable qui la ramène à sa vraie condition sociale : épouse d’un modeste médecin de campagne dans un village normand minuscule où elle rêve de Rouen et peut-être Paris…
L’opération d’Hippolyte, le commis du pharmacien Homais, lequel en forçant Charles Bovary à opérer le pied bot du pauvre bougre, afin de donner du lustre a la réputation de la région, qu’on en parle dans le journal, est l’apex de la frustration des personnages comme Hommais ou Emma, se rêvant « dans la lumière » ; pour ce funeste projet, Homais flatte Emma afin d’obtenir son soutien, elle sera alors l’épouse d’un grand chirurgien… (« MB, c moi » de Flaubert flotte dans l’atmosphère…). L’opération du pied-bot du malheureux se transformera en tragédie, Hippolyte handicapé lourdement.
Le dernier "Madame Bovary", plus intimiste et esthétique que le Chabrol, fait impasse sur trop de choses, la synthèse du livre = impossible!
— Camille Marty (@Cine_maniac) September 18, 2015
Et aussi
Ce que ne montre pas bien le film, c'est le rapport de MB aux relations extra-conjugales : en donnant à Emma Bovary deux amants dont elle est éprise et qui vont la trahir lâchement, en vérité asphyxiés par son tempérament insatiable et ses demandes d'une autre vie, saisira-t-on clairement à quel point ces hommes n'ont en réalité aucune autre importance pour elle que d'endosser l'emploi de l'homme idéal? Des hommes antonymiques de Charles Bovary afin de s'imaginer "ailleurs", menant une vie irréelle de passion et de plaisir, comme dans ces romans qu'elle prise. Ici, dans cette nouvelle adaptation, on modernise en montrant scènes d'étreintes, par exemple, on banalise les relations entre les personnages, on esthétise avec les robes en soie couleurs d'automne, virant au rouge passion mais n'y parvenant jamais (subtil), tons cuivré, vieil or, rouille et parfois du bleu pour s'ennuyer ou aller supplier Monsieur L'heureux (le mieux rendu dans ce film), le personnage qui va perdre Emma : la débauchant comme le dealer donne quelques doses gratuites, il organise sa dépendance au luxe ; ainsi vêtue de robes somptueuses (la seule ainsi vêtue dans le village), à cette tenue, il conviendrait à Emma d'ajouter un amant pour aller au bal, au théâtre, le marquis comme Léon, sélectionnés pour leurs signes extérieurs de beauté, de richesse (le marquis), d'amour fou (Léon), hommes décoratifs et donneurs de plaisirs, que, sans la savoir, persuadée de chercher l'amour, elle utilise plus qu'ils ne l'utilisent, elle, que rien ne satisfera jamais... Dans le livre, c le superbe Rodolphe qu'Emma croit aimer a la folie, lui qui possède tout, elle le croit (en fait, c un aristo fauché), le titre, la fortune la beauté, lui dont elle est folle d'amour à le couvrir de cadeaux, Léon n'étant qu'une planche de salut en souvenir de la passion qu'il eût pour elle à Yonville. Rodolphe est l'illusion parfaite des rêves de MB... Mais ici dans ce film, le petit marquis, sans aucune nuance, est un mufle (sans prénom) snob qui ne s'en cache pas. Par ailleurs, ici, Charles Bovary est jeune et beau mais naïf, incolore, en vérité, il n'est ni beau ni jeune et adore sa femme... Exit l'enfant de Charles et Emma, dans le livre, elle sera une mauvaise mère, on s'en doute... La réalisatrice tente néanmoins un angle nouveau : le début du film s'appesantit sur l'enfance d'Emma comme pour chercher l'origine du mal. Pourquoi pas? C'est dans l'air du temps aujourd'hui de psychologiser mais pas à l'époque, le roman de Flaubert, tellement fort, universel, cruel, lucide, intemporel, possède tout. Je me souviens d'un film avec JP Léaud dans le rôle loufoque d'un écrivain raté ayant soudain l'idée de réécrire MB en supprimant Monsieur Bovary, c'était très drôle... Ici, zéro humour mais on y est presque... Le problème de la temporalité est le principal défaut du film : en voulant partir de la mort, ici très romantisée d'EB, et revenir en flash-back, au delà d'un résumé de ses années au couvent (explicatives de ce qui suit, selon la réal), sur une vie compactée en un an, n'est pas une bonne idée : on a l'impression que sitôt arrivée à Yonville, son mariage l'assommant et ses adultères expédiés, Emma Bovary est déjà ruinée par l'entremise de Lheureux (ancêtre des sociétés de crédit, MB victime du surendettement, la société d'hyperconsommation, Flaubert est tellement visionnaire) et n'a plus comme issue que le suicide. Hors, tout ce processus insidieux prend du temps, la lente dépression larvée de MB, ses tentatives d'adultère "issues de secours" qu'elle perçoit comme des amours passionnées de romans, sa répulsion croissante devant une vie monotone et convenue, sans paillettes ni célébrité d'un soir, elle, rayonnante à l'Opéra de Rouen dans des soieries hors de prix (déjà, la société du spectacle, le génie visionnaire de Flaubert bis, Loana du "Loft", c'est la petite sœur Emma...), bref, la ruine de la maison Bovary ne se fait pas en un an, ce n'est pas crédible pour le spectateur à qui on montre un "résumé" du livre qu'il est impossible de résumer car il n'y a rien à ôter ni ajouter, Chabrol l'avait compris.
Annexe
[caption id="attachment_12605" align="aligncenter" width="385"] "Madame Bovary" de Chabrol (1991)[/caption]
Diffusion
Post du 22/09/2015
Notre note
(3 / 5)
Mots clés: CineActuel, CinéFestival, Cinéfestival USDeauville 2015, Sophie Barthes
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Posted by:
Camille Marty-MussoCe site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.
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