Black swan » : danse avec les démons

Darren Aronosfsky, sortie 9 février 2011

Après le catcheur, la danseuse étoile? « Black swan », malgré son apparente étroite parenté avec « The Wrestler », le dépassement de soi extrême, non seulement n’a pas la même force, encore moins la même émotion (plus tourné vers la grâce glacée et l’horrifique), mais, au fond, ne traite pas  exactement du même sujet. Dans « The Wrestler », en deux mots, une ancienne gloire du catch, devenue un has been pathétique, vivotant de combats minables, va remonter sur le ring après un accident cardiaque et mourir sur scène dans un ultime dépassement de soi. On comprend bien que le catcheur préfère les dangers du combat (parce qu’il n’existe vraiment que pendant le show) à une vie de mort-vivant à la retraite. Magnifique. Dans « Black swan », ça démarre de la même manière, même affiche focalisée sur un personnage, un/e acteur/actrice : Mickey Rourke dans « The Wrestler », Natalie Portman dans « Black swan ». Mais si Darren Aronosfsky n’a pas appelé son film « La Danseuse », c’est que dans « Le Lac des cygnes », il y a deux cygnes, le pur et innocent cygne blanc face au maléfique et séducteur cygne noir, eros et thanatos. Il annonce donc la couleur avec le titre.

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Pas un hasard non plus le choix du réalisateur de l’horrifique glacé : parce que le film traite des conséquences de l’hypercontrôle de soi qui rend fou et des origines de cet hypercontrôle. Nina, jeune fille  sage, comme toutes les danseuses, ne vit que pour la danse. Dans la troupe du NY city ballet, Nina (Natalie Portman) se bat pour remplacer Beth (Wynona Rider), l’ancienne danseuse star déchue, son modèle, que le directeur artitisque, Leroy (Vincent Cassel), s’apprête à remplacer pour monter une nouvelle version du « Lac des cygnes ». Soudain, Lily (Mila Kunis), une nouvelle danseuse, cool et séduisante, fait irruption, elle devient immédiatement la rivale de Nina. Leroy, qui connaît Nina, sait qu’elle fera un magnifique cygne blanc mais emet des doutes sur sa capacité à interpréter le cygne noir, jouant de la rivalité entre Nina et Lily. 


photo Twentieth Century Fox


Le livret du « Lac des cygnes » est un conte cruel, une jeune fille est transformée en cygne par un sorcier, un prince  en tombe amoureux et leur mariage seul pourrait briser le sort, mais la fille du sorcier, son sosie, un cygne noir, prend sa place et le cygne blanc, désespéré, se tuera. Le film de DA met en abyme le livret du ballet de Tchaikovsky et les relations entre Nina, névrosée et frigide, et Lily, sexy et perverse, qui représente sa part d’ombre, ses pulsions auto-destructrices. Car ce n’est pas d’hier que Nina, coachée par une mère possessive, danseuse ratée persuadée que la naissance de sa fille l’a empêchée de faire une grande carrière, élévée depuis l’enfance pour devenir une perfection, est victime de rituels d’auto-mutilation. Il y a deux types d’atmosphère dans ce film, la première expliquant la seconde : celle anxiogène, oppressante, du tête à tête de la mère et la fille qui fait nettement penser à « La Pianiste » de Haneke (les scènes les plus insoutenables), on est dans l’horrifique psychologique ; celle, plus spectaculaire, virant au fantastique horrifique, du théâtre, du ballet, des répétitions, des hallucinations de Nina qui perd peu à peu la raison, luttant avec une image de Lily diabolisée la renvoyant à ses propres pulsions de mort. On pense aussi
à « Répulsion » de Polanski. 


photo Twentieth Century Fox

DA ne fait pas impasse sur la danse, bien au contraire, montrant à la fois le ballet filmé et les coulisses, le martyr du corps que s’imposent les grandes danseuses professionnelles pour un objectif artistique et surtout la recherche de l’extase, l’ivresse inégalée des bravos après une prestation d’exception sur scène, là, on rejoint « The Wrestler », se brûler dans la lumière plutôt que végéter dans l’obscurité, la médiocrité, l’anonymat. La dernière scène est quasiment la même que dans « The Wrestler », on est retourné au dépassement de soi, à la quête de la  perfection justifiant tout, faisant exploser les corps dans un orgasme ultime.
Contrairement au public masculin, je ne suis pas particulièrement fan de Natalie Portman mais DA en a tiré le meilleur, comme il sait si bien le faire, c’est la première fois que je la trouve  très convaincante, exploitant l’air douloureux qu’elle affiche de film en film pour en faire un personnage franchement tragique et le noir lui va bien même si elle est habillée en rose et blanc pendant une grande partie du film. C’est vrai que les symboles sont un peu trop explicites, le grand tatouage avec des ailes noires sur les épaules de Lily, l’écharpe en boa blanc de Nina, mais ça n’est pas une histoire réaliste, plutôt un opéra funèbre. On peut dire rapidement que « Black swan » est le pendant féminin de « The Wrestler » sur le point commun de l’utilisation du corps, outil de travail, dans un délire de perfection, mais la grande différence, c’est que dans « The Wrestler », il y a une dimension de rédemption, même dramatique, ici, elle est absente, la névrose du personnage de Nina le condamne à porter l’enfer en soi.

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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