« Caterpillar » (« Le Soldat Dieu ») : le Japon crucifié + coup de projecteur sur Koji Wakamatsu
Pitch
Lors de la seconde guerre mondiale, en 1940, un soldat japonais revient chez lui atrocement mutilé, le visage brûlé, mais couvert de médailles, considéré comme un héros ayant combattu pour l'Empire. Son épouse, désespérée, arrive pourtant à faire face.
Durant la guerre sino-japonaise en 1940, le lieutenant Kyuzo Kurokawa est renvoyé chez lui amputé des bras et des jambes, croulant sous les décorations militaires. Son épouse Shigeko, d’abord désespérée, se comporte rapidement comme ce que l’on attend d’une femme de héros, de manière admirable. Le village célèbre alors le « Soldat Dieu », un exemple qui a sacrifié son corps à l’armée de l’empire japonais. Néanmoins, le film démarre par une scène de viol qu’on s’expliquera plus tard, des soldats japonais violant et violentant des femmes chinoises dans une maison en flammes.
Le générique qui montre la seconde guerre mondiale en sépia rougi (images d’archives), revient en insert deux fois encore dans le film pour marquer les étapes de la défaite du Japon, les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 aout 1945), la capitulation (15 aout 1945). Un film drastiquement anti-militariste en général et anti-impérialiste s’agissant du Japon. Kyuzo Kurokawa revient de la guerre le corps en forme de croix humaine, le visage brûlé de surcroît, monstre sourd-muet réduit à des fonctions vitales, une libido galopante, des accès de violence.Dans un premier temps, Shigeko, l’épouse, surmonte tant bien que mal sa répulsion pour satisfaire les besoins de son mari. Dans un second temps, Shigeko se rebiffe, se souvient que
Kyuzo la battait tous les soirs, la maltraitait à cause de sa stérilité. Dans l’intervalle, parfois un moment de tendresse, de compassion, de culpabilité, de violence, de désespoir… Dans la troisième partie, Shigeko se révolte à la fois contre son mari et son pays, dénonçant l’imposture de cette macabre mascarade d’être obligée de jouer l’épouse modèle pour faire honneur au Japon par son « Soldat Dieu » interposé de mari ou ce qu’il en reste.
C’est un des films les plus durs que j’ai vu de ma vie… Pourtant, les images sont magnifiques, cette campagne vert pâle, parfois blanchie, aussi lénifiante que l’horreur qui s’y joue, ou ces visages de femmes violées transcendées dans l’orange des flammes, contrastes extrêmes entre la virtuosité de la forme et l’atrocité du fond. Petit à petit, Kyuzo a des cauchemars, se souvient de la guerre et de la cause honteuse de ses blessures ; les images et les cris de la scène clé obsédante se superposent à celles de l’homme tronc posé sur une natte de la maison conjugale sous la photo du couple impérial, voire assis dans un panier ou transporté dans une charrette dans le village, quémandant boulimiquement nourriture et sexe à Shigeko épuisée.Il y a deux aspects dans ce corps crucifié du « Soldat Dieu », d’une part, une forte notion de châtiment dans un récit où
Kyuzo a finalement été puni dans sa chair « par là où il a pêché » ; d’autre part, le procès de l’armée impériale japonaise castratrice, mutilante, vampiresque, qui ramène sans vergogne de la guerre ses soldats morts (le frère aîné) ou bien pire que morts (Kyuzo) ou déchus comme le troisième frère, inapte au combat et privé d’identité nationale. Les relations conjugales, au passage, sont dénoncées comme la guerre ultime se passant à l’intérieur de la maison où il n’y aurait pas de repos possible, la femme japonaise des années 40 inféodée, humiliée, asservie, le foyer considéré comme « le dernier front ».Shinobu Terajima qui a obtenu l’ours d’argent de la meilleure actrice lors du 60° festival de Berlin, est souvent bouleversante, celle qu’on plaint, c’est elle… Car l’intention du réalisateur est d’abord de traiter des dommages de la guerre sur l’entourage, sur ceux qui la subissent et ne combattent pas en première ligne. Un seul personnage échappe à l’horreur, le fou du village en peignoir à fleurs et mangeant des fleurs, imperméable à l’honneur de la patrie et au mérite du sacrifice, qui se réjouit béatement de la fin de la guerre alors même que le Japon est vaincu, un anarchiste en kimono rose, figure du réalisateur. Le moins qu’on puisse dire est que le film est dérangeant (et la nuit Koji Wakamatsu du 3/4 juillet au Forum des images risque de l’être aussi…)
A noter que le réalisateur Koji Wakamatsu a débuté au début des années 60 dans le cinéma « pink » (« pinku eiga » = film rose, équivalent japonais de la Sexploitation) après une jeunesse où il avait cotoyé des gangsters. S’apercevant ensuite que l’érotisme, qui lui permettait au départ de tourner facilement des films, sert en fait son discours politique, cela devient une nécessité. En 1965, il fonde sa maison de production et réalise « Les Secrets derrière le mur » qui suscite l’indignation.
Koji Wakamatsu en 3 films/3 dates :
« Quand l’embryon part braconner » (1967)
« Les Anges violés » (1970)
« United Red army » (2008)
DVD
Bientôt la sortie du coffret DVD N°3 (« Guerre des gangs ») de Koji Wakamatsu le 2 novembre 2010 aux éditions Blaq out avec « La Vierge violente » (1969), « Violence sans raison » (1969), « Naked bullet »(1969), « Shinjuku mad » (1970).
Paris-Cinéma :
– Nuit Koji Wakamatsu le 3 juillet au Forum des images
– Masterclass KW le 4 juillet à 17h à la BNF
– Débat avec KW à lissue de la projection de United Red Army le 4 juillet à 18h30 au Forum des images
– Avant-première du « Soldat Dieu » présenté le réalisateur et l’actrice Shinobu Terajima le 5 juillet à 19h au MK2 Bibliothèque
– L’Empire des sens de Nagisa Oshima (produit par KW) présenté par Serge July et David Thompson (réalisateur) le 9 juillet à 19h30 au Forum des images
Notre note
(4 / 5)
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