"Dans l'ombre du loup" ("Onimasa") : la fille préférée
Après une période de films d’action, le réalisateur Hideo Gosha, pris dans la tourmente d’un drame familial, son épouse l’ayant mêlé à un scandale financier, sa fille, renversée par un bus, en ayant réchappé in extremis, avait décidé d’arrêter le cinéma. Encouragé par les studios et son équipe, il va tourner le premier des trois livres qu’il adaptera de la romancière japonaise Tomiko Miyao « L’Ombre du loup »*. Un virage dans son oeuvre cinématographique car ces sujets, qui ne l’ont pas touché par hasard, vont lui permettre d’incorporer des fragments de sa vie personnelle. Comme, par exemple, les relations du parrain Onimasa et de sa fille adoptive qui sont le noeud du film. Ces films de la seconde période de Gosha, beaucoup plus féminins que les précédents, parlent de l’impossible communication entre les hommes et les femmes en utilisant le monde des geishas. Au delà de sa rupture avec son épouse dans des cirsconstances scandaleuses et douloureuses, sa fille dans un supplément du DVD dit qu’on ne sait pas tout de l’enfance de son père mais qu’il aurait bien pu grandir dans une maison de geishas.
* »L’Ombre du loup » (1982), « Le Royaume des geishas » (1983) et « La Proie de l’homme » (1984)
« Dans l’ombre du loup » (« Onimasa ») (1982)
photo Wild side vidéo
Les film est à peu près divisé en deux parties, l’enfance de Matsué, fille adoptive du parrain yazuka Onimasa, et Matsué à l’âge adulte, bien qu’on la voit moins souvent à l’image.Dans une famille pauvre de l’île de Shikoku, en 1918, un père de famille débordé décide de confier un de ses jeunes fils au parrain Onimasa en échange de sa protection. Mais celui-ci emmène aussi une de ses filles Matsué qui lui a immédiatement plu. Très vite, le garçonnet fuguera et Matsumé seule restera dans la maison yazuka Kiryuin dont le chef est Onimasa. Contrairement aux apparences, Onimasa, entouré d’une épouse Uta et de plusieurs geishas, va nouer avec Matsué des relations paternelles plutôt droites bien que par trop passionnelles. Malgré son penchant pour les femmes et les plaisirs, Onimasa demeure, plus ou moins, selon les périodes de sa vie, fidèle à son tempérament chevaleresque et généreux. Vers le milieu du film, mandaté par le superparrain pour régler une grève dans une usine par des méthodes maffieuses, Onimasa se prendra d’amitié pour un syndicaliste et décidera un mai social dans son clan, cesser le commerce des femmes par exemple, ce qui lui vaudra d’être exclu de l’organisation par Suda, le grand parrain de l’île.
—–
photo Wild side vidéo
L’enfance de Matsué est rythmée par les bagarres entre clans yazukas et les rivalités entre femmes légitimes ou non à la maison, l’épouse jalouse lui menant la vie dure malgré son statut de mère adoptive. Alors que la favorite, Botan, s’est prise d’affection pour Matsué, l’arrivée d’une « prise de chasse » d’Onimasa, Tsuru, volée à son rival et furieuse d’être là, va causer à long terme la perte de la famille. Enceinte d’Onimasa qui n’avait pas d’enfant biologique, Tsuru prend du galon et met au monde une fille Hamako aussi futile qu’elle est bornée. C’est la première image du film, dans un quartier populaire de Tokyo en 1936, une jeune femme en été, robe claire et ombrelle, entre dans une maison où s’agite la police, une femme vient d’être retrouvée morte (visage d’une geisha maquillée et lèvres carminées en avant-plan, le sujet est posé) qu’elle reconnaît : c’est sa soeur… Ensuite, tout le récit est en flash-back.
photo Wild side vidéo
Bien qu’Onimasa ne tienne pas à ce ses femmes se cultivent…, Matsué, enfant volontaire, exige d’aller au lycée, elle deviendra institutrice dans un village, rappelée dans sa famille adoptive à chaque drame, comme l’agonie de sa cruelle mère adoptive
atteinte du typhus que Matsué seule veille alors que tous craignent la contagion. C’est un film fleuve, un mélodrame pavé de rebondissements familiaux et de règlements de comptes, d’alliances ou trahisons entre yazukas en toile de fond car le sujet est davantage, on l’aura compris, la famille recomposée, les rapports entre le parrain Onimasa et ses femmes. Attaché par devoir à son épouse, Onimasa n’a vraiment d’estime que pour sa fille adoptive Matsué qui a échappé au statut de geisha par sa force de caractère et son absence de coquetterie. Quand, fou de jalousie que Matsué soit tombée amoureuse de ce syndicaliste qu’il protège et voulait marier à sa fille cadette Hamako, Onimasa essaye de violer Matsué pour la briser, elle le menacera de se suicider et posera les limites à sa place. Matsué, fille adoptive, va se substituer à tous les manques familiaux, bonne fille avec une mauvaise mère adoptive, fille aimante avec un père perdant facilement le contrôle, fiancée fidèle avec un homme qui doute d’elle, elle pardonne et force le respect. La seule à n’être pas biologiquement du même sang que le reste de la famille est la celle-là même qui se comportera filialement, le coeur plein d’un amour désintéressé mais il faudra leur agonie à chacun pour que ses parents adoptifs le comprennent enfin. Matsué représente la fille idéale romancée face à un père imparfait qui ne sait pas l’aimer, faute de comprendre quoi ce soit aux femmes, et face à une mère, épouse trompée, qui voit en toute femme jeune une rivale potentielle.
photo Wild side vidéo
Les couleurs sont discrètement stylisées : intérieurs gris sommaires avec portes coulissantes, la production n’est pas luxueuse, on fait le maximum avec le minimum, hommes en bleu ou noir, kimonos rouges désir des femmes, certaines scènes d’un érotisme très soft montrent les corps des femmes ardentes telles que les voudraient les hommes 24h/24, plus que les rapports amoureux à proprement parler, les chairs des concubines lascivement allongées dans leur chambre en attendant l’appel du maître, le blanc des peaux laiteuses dans les étoffes rouges satinées, la femme geisha noir, blanche et rouge, tel le dernier maquillage épuisé de l’épouse mourante, le noir des cheveux brillants, la poudre blanche étalée sur le visage, le rouge pâteux aux lèvres… Mélodrame sans artifices puisque le récit possède déjà plus d’éléments qu’il n’en faut pour y mener tout droit, si le centre du film s’enlise un peu dans des digressions, la fin rachète l’édifice qui avait fort bien démarré : la scène entre Matsué et son père Onimasa (Tatsuya Nakadai) est un grand moment d’émotion, soit que les acteurs soient exceptionnels, soit que ça sonne plus vrai que nature, ou un peu des deux, il se dégage une force poignante de ce tête à tête et on a du mal à garder l’oeil sec… D’autant qu’on apprend ensuite dans un des suppléments DVD que Masako Natsume, l’actrice qui interprète Matsué adulte, est morte à 27 ans d’une maladie de la thyroïde, étant déjà souffrante pendant le tournage…** DVD collection Wild Side vidéo, les introuvables d’Hideo Gosha.
Sortie le 2 avril 2008
« Hitokiri » (1969), « Dans l’Ombre du loup » (1982), « Yokhiro, le royaume des geishas » (1983), « La Proie de l’homme » (1984), « Femmes de yazukas » (1986), « Tokyo bordello » (1987). Dans le DVD « L’ombre du loup », en supplément, l’interview très touchante de la fille unique du réalisateur : Tomoe Gosha, traumatisée par ce qu’elle nomme « l’effondrement familial », qui a publié un livre autobiographique « La Vie n’est qu’un au revoir » et les interviews des collaborateurs (équipe du film) de ce grand réalisateur mort à 63 ans « le coeur plein de regrets ».
Notre note
(4 / 5)
Laisser un commentaire