« Dans la brume électrique » : les fantômes du Bayou
Pitch
En enquêtant sur un serial killer qui tue des prostituées très jeunes, un lieutenant de police plonge dans l'enfer de son propre passé et des fantômes de son pays, la Louisiane.
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photo TFM
Peu après avoir trouvé le cadavre torturé de Cherry Leblanc, 19 ans, prostituée depuis l’âge de 15 ans, Dave Robicheaux (Tommy Lee Jones) arrête par hasard l’acteur Elrod Sykes (Peter Sarsgaard) pour conduite en état d’ivresse, puis le laisse filer. En échange, Elrod lui raconte qu’il est tombé sur le corps décomposé d’un homme noir enchaîné en faisant des repérages dans les marais. Le cadavre repêché plus tard par la police est sans ceinture ni lacets de chaussures, ce qui attire l’attention de Rosie Gomez, jeune femme agent du FBI qui assiste l’enquête. Dave se souvient alors de l’année 1965 où il a vu deux hommes lyncher un homme noir, jeune et beau, un certain Dewitt Prejean. Un ancien bagnard, Sam Hogman, lui confirme que cet homme avait bien pu fricoter avec une femme blanche à l’époque.
Dave Robicheaux se rapproche d’Elrod Sykes et Kelly Drummond, sa partenaire et fiancée dans la vie, jeunes stars de séries TV parachutées en Louisiane pour le tournage d’un film produit par un certain Julius Balboni, dit Baby feet, ancien copain de base-ball de Dave Robicheaux. Ayant fait fortune en Californie, Balboni, truand obèse et ordurier, est revenu au pays où flottent les souffrances de son enfance de « rital ». On trouve ensuite un second cadavre de jeune femme dans un tonneau. Mais Dave Robicheaux est déjà parti mentalement pour un voyage dans le passé entre deux réunions d’AA avec son collègue Lou Girard, flic déglingué, démoli par le départ de sa femme, qu’on retrouvera suicidé, sans doute assassiné.
Si l’enquête débusque, peu à peu, une série de personnages plus ignobles ou cassés les uns que les autres, si l’intrigue est traitée comme dans un vrai polar, c’est le sang versé des fantômes qui intéresse le réalisateur, et, en premier lieu, l’armée des ombres des Confédérés dont on dit que leurs âmes hantent le Bayou. D’une manière habile, un général de l’armée des Confédérés s’immisce dans la vie du policier Dave Robicheaux et dans le film de Tavernier jusqu’à ce que la frontière entre réalité et fantasme s’estompe naturellement, que le passé ensevelisse le présent. Sans qu’on en parle jamais de manière frontale, la guerre de Sécession, les sévices racistes, les crimes impunis baignent le récit et tous les personnages ploient sur le poids du passé supplicié de la Louisiane.
Polar à la fois réaliste et surnaturel, bercé par une musique Cajun, à mi-chemin entre l’enquête policière et le récit mystique, c’est une plongée dans la brume opaque de l’histoire du mal, la magie noire que transpirent les marais asphyxiant les hommes, la loi implicite du silence couvrant les exactions ignobles de certains d’entre eux dont tous se sentent responsables à titre collectif. « Les morts dirigent notre vie » égrène la voix off de Tommy Lee Jones qui livre une interprétation magistrale d’une violence sourde et intense. Naviguant entre les images superbes et l’ambiance délétère, suffocante du film, le spectateur est aspiré par la moiteur languide du récit, englué dans une atmosphère saturée de passif, de passé tout puissant. Un film exceptionnel qui peu faire un peu penser au Clint Eastwood de ‘Minuit dans le jardin du bien et du mal. « Dans la brume électrique » avait remporté le grand prix du festival du film policier de Beaune en 2009.
Diffusion : sur Ciné+Premier le mercredi 16 novembre 2011 à 20h40
publié également sur CanalSat/Paroles d’experts…
Notre note
(5 / 5)
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