« Ennemis intimes » + « Cobra verde » : la démesure du couple Herzog/Kinski

Werner Herzog 1998 et 1987, sortie DVD 7 avril 2009


Werner Herzog et Klaus Kinski souffraient d’attirance et de besoin de l’autre, formant une entité explosive, un peu à la manière d’amants maudits qui ne s’avouaient que leur détestation mutuelle et leur colère d’être obligés de se supporter, Werner Herzog ayant même tenté de d’incendier KK et sa maison!!! Quelques mois plus tard, se rencontrant à un festival américain, ils tombaient dans les bras l’un de l’autre…
Quand Klaus Kinski meurt en 1991 à San Francisco dans l’indifférence générale, Herzog tourne la même année son dernier film de fiction (« Cerro Torre/Le Cri de la roche » avec un acteur italien aussi bilieux que Kinski) et ne fera plus ensuite que des mises en scène d’Opéra ou des documentaires… Herzog raconte qu’il l’a vu Kinski se consumer dans la dernière scène du dernier film qu’ils ont tourné ensemble qui se trouvait être aussi chronologiquement la scène finale du film « Cobra verde » (1987) où le héros meurt, il a même entendu KK dire ensuite « je ne suis plus ». Kinski consumé, dévoré par Herzog? retournera alors à ses séries B minables… Auparavant, il demandera à Herzog qui refusera de réaliser « son » « Paganini » (1989), une oeuvre délirante comme lui qu’il sera obligé de réaliser lui-même.
—–
Dans « Ennemis intimes », documentaire qu’il consacre entièrement à ses relations avec KK, leur génèse, leur évolution, leur analyse, Herzog tente de faire enfin son deuil de son double maléfique qu’il a utilisé autant que l’autre l’a épuisé, les deux étant finalement implicitement d’accord pour conjuguer leur folie, celle du créateur et celle de l’interprète… Le pire des deux, « le plus fou », étant sans doute Herzog qui a extirpé, sublimé, exploité en KK les obsessions et les manifestations de la folie qu’il possédait lui-même de manière latente, voire subconsciente… L’un se faisait une idée sublime de la création artistique, seul comptait le résultat, ce qu’on verrait à l’écran, l’autre, mégalo, névrosé, vaniteux, se prenait pour un génie du théâtre qu’on avait pas su mettre en valeur jusqu’alors… L’association des deux allait combler le besoin de démesure du réalisateur et de l’acteur au prix de disputes et de relations violentes à la vie à la mort au sens du terme, on entend Herzog dire que maîtres du monde sur un fleuve en Amazonie, il était prêt à mourir avec Kinski!Malgré cette histoire d’amitié amoureuse dramatique, on rit beaucoup en regardant ce film car Werner Herzog raconte d’une voix atone les milles et unes persécutions que lui a infligées KK, se posant en victime qui ne comprend pas pourquoi il a supporté tout ça, du moins dans les deux tiers du film, dans le dernier tiers, il en vient à se mettre en cause aussi, enfin, à s’avouer qu’il avait autant besoin de KK que la réciproque…Mais que d’anecdotes tragico-comiques… Depuis un séjour que KK fit dans la maison de famille de Herzog adolescent… A l’époque, KK, artiste maudit en rajoutant, vit nu dans une mansarde remplie de feuilles… Sur scène, il fait un show sur Jésus où il insulte la salle… Dans l’appartement, il saccage la salle de bains en menus morceaux, terrorise les locataires de l’immeuble… Ca n’empêchera pas, ou plutôt, ça conduira à ce que Herzog l’engage pour pas moins de 5 films ensemble… Herzog parle beaucoup du tournage au Pérou d' »Aguirre, la colère de Dieu » (1975) dont ont voit de nombreux extraits et de « Fitzcarraldo » (1982). Kinski frappe les figurants et un peu tout le monde, les tribus d’indiens, terrifiés par les colères de Kinski, proposent même à Herzog de le tuer pour lui rendre service. Kinski, qui se prétend proche de la nature qu’il qualifie d’érotique, ne mettra le bout du nez dans la forêt qu’une seule fois sur les tournages pour faire 50 m et une centaine de photos artistiques enlaçant un tronc d’arbre. Ainsi, son déguisement est signé Yves Saint Laurent, il fait de scandales quand son café est tiède et surtout quand on ne s’occupe pas de lui. Un jour que KK, furieux, s’apprête à quitter le tournage, Herzog le menace de le tuer et de se suicider ensuite avec la dernière balle. Kinski reste et Herzog commente que son instinct et sa lâcheté l’ont sauvé… Très drôle et pathétique aussi Herzog feuilletant l’autobiographie de Kinski comme une vieille maîtresse résignée en lisant les passages sur lui ou KK le dénigre…On n’en finirait plus de raconter ce que raconte Herzog, tout est intéressant, chaque phrase, chaque anecdote, chaque extrait de film, tout est étonnemment passionnant et je pèse mes mots. Invités qui passent et ont cotoyé KK dans les films d’Herzog comme Eva Mattes, une actrice allemande qui jouait sa femme dans « Woyzeck » (1979, adaptation de la pièce de Büchner), Claudia Cardinale au casting de « Fitzcarraldo » (1982), deux femmes qui sont bien les seules à en conserver un bon souvenir et

Mick Jagger dans des extraits de « Fitzcarraldo », Isabelle Adjani dans « Nosferatu, fantôme de la nuit » (1979, remake du film de Murnau, tourné juste avant « Woyzeck »), etc…Pour ce film, Herzog n’a rien préparé et retourne sur les lieux de tournage qu’il a partagé avec Kinski, on le voit dans son appartement d’enfance à Vienne, au Pérou, dans la jungle, hypermnésique, se souvenant du moindre détail, créateur introverti obsédé par les fantômes de son interprète/créature extraverti/e, malheureux d’avoir perdu son tortionnaire, dont il avoue qu’il provoquait parfois ses crises de nerfs pour le filmer ensuite avec une voix grave… Cet acteur  honni qu’il jugeait aussi hystérique, lâche et stupide qu’il se trouvait réservé, réfléchi et courageux, dont il se rend compte trop tard qu’il était néanmoins devenu un ami, un compagnon qui lui manque…


Produit par Arte, présenté à Cannes en 1999, le film sort aujourd’hui en DVD dans un coffret collector avec « Cobra verde » aux éditions Potemkine (nouvel éditeur dont on avait déjà apprécié cet hiver le coffret Jacques Rozier).

Herzog et Kinski :

            

« Aguirre, la colère de Dieu » (1975)
« Nosferatu » (1979)
« Woyzeck » (1979)
« Fitzcarraldo » (1984)
« Cobra verde » (1987)
+
« Ennemis intimes » (1998)

+
« Paganini » (1989) du seul Klaus Kinski

{{Ma Note 5}}

 

Mots clés: , , , ,

Partager l'article

Lire aussi

Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

Laisser un commentaire

Votre email ne sera pas publié. Remplissez les champs obligatoires (required):

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Back to Top