« Fausta » (« La Teta Asustada ») : la mémoire traumatique collective
Ours d'or de Berlin 2009, Claudia Llosa, sortie 17 juin 2009
Claudia Llosa dont c’est le second film est la nièce de l’écrivain péruvien le plus célèbre à l’international : Mario Vargas Llosa. Son film « Fausta » a obtenu, contre toute attente, l’Ours d’or à Berlin cette année. Le titre original du film, « La Teta asustada », renvoie à une maladie qui serait transmise par le lait maternel : « Le lait de la douleur ». En effet, pendant les années noires 70/90 de guerre et violence au Pérou, de nombreuses femmes péruviennes furent violées par des soldats et auraient ensuite transmis à leurs filles le traumatisme de ce viol et la peur.Le film débute par le chant off puis le portrait en gros plan d’une vieille femme agonisante psalmodiant le récit de son viol tandis qu’elle était enceinte de sa fille Fausta qui a assisté à la scène sous forme de foetus dans le ventre de sa mère. Plus tard, Fausta, ébranlée par la mort brutale de sa mère, demande à son oncle de financer son enterrement dans son village natal. Avant même d’être orpheline, Fausta, atteinte de la maladie du « Lait de la douleur », porte en elle la mémoire individuelle et collective du viol des femmes de son pays. En réaction, Fausta a bloqué la porte d’entrée de son sexe en y mettant une pomme de terre, symbole double à la fois racine et radicules se ramifiant vers l’extérieur. Engagée comme servante chez une concertiste de la haute bourgeoisie, qui l’accueille d’abord sans la voir, ses chansons en langue Quechua vont lui donner une identité et à la pianiste le retour de l’inspiration, c’est le début du processus de guérison.
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Photo Jour2fête
Le film alterne, voire met en miroir, les gros plans des visages de Fausta (ou sa mère), soit le paysage/territoire de leur visage, celui de la mère raviné, ridé de sillons comme autant de stigmates des douleurs, et les paysages grandioses du Pérou, terrain des scènes de la vie quotidienne filmées de loin comme des petits films en soi. Aride, silencieux, statique, le film n’est pas facile d’accès. Le sujet (trop) fort est abordé avec une telle pudeur que c’en est presque trop, l’accumulation des symboles pour dire les choses est excessive. Même si on est bluffé par la qualité des cadrages et la beauté des images, le film manque de dynamique, plus engagé politiquement sur son sujet que préoccupé de fil narratif du récit (on comprend mal, par exemple, pourquoi soudain la guérison de Fausta). On demeure dans une émotion blanche et sèche pour un beau portrait de femme entre mélancolie atavique, deuil et instinct de survie.
Photo Jour2fête
Après la projection du film dimanche au Rex à Chatenay-Malabry, vu à l’occasion du 8° festival du film « Paysages de cinéastes », lors de la journée spéciale femmes, une dame péruvienne a pris la parole pour dénoncer le scandale du pillage de la forêt amazonienne et des indiens, insistant sur le fait que la violence est toujours présente aujourd’hui au Pérou sous un régime politique qu’elle qualifie de quasi-totalitaire. A noter dimanche 21 juin, une manifestation à Paris au Trocadéro pour la défense de la forêt amazonienne et de ses populations entre 15h/18h.
Notre note
(3 / 5)
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