« Grey Gardens » : Splendeur et misère des deux Edith Bouvier-Beale
Ce téléfilm produit par la chaîne HBO, qui vient d'obtenir l'Emmy award du meilleur film de télévision, est une biographie d'une tante et une cousine excentriques de Jackie Bouvier-Kennedy se basant sur un documentaire culte des années 70 qui les avait filmées dans leur maison de Grey gardens comme le ferait aujourd'hui une émission de téléréalité. Au départ, les deux documentaristes avaient pour mission de faire un film sur la famille Bouvier à la demande de Lee Radziwill, soeur cadette de Jackie Kennedy, people attirée par le milieu branché artistique (Warhol, Jagger). Finalement, les réalisateurs furent aimantés par l'univers flétri de Grey gardens, ce couple formé par cette tante Edith Bouvier-Beale (soeur du père de Jackie Bouvier-Kennedy) et sa fille Edie vivant recluses comme deux clochardes dans une ancienne superbe demeure de East Hampton tombant en ruine. Pire, les deux femmes ruinées, sans eau ni chauffage, vivaient dans l'insalubrité, ne faisant plus le ménage depuis des années, abritant de nombreux chats et ratons-laveurs, le tout dans une odeur insupportable.
Le téléfilm, à la différence du documentaire, a reconstitué l'avant-déchéance des deux Edith Bouvier-Beale, montrant la mère et la fille du temps de leur splendeur à New York ou à Grey gardens. On a alors un va et vient entre l'hôtel Pierre à New York 1936 et East Hampton 1973, date du début du documentaire. D'un côté les souvenirs, de l'autre les deux réalisateurs en train de filmer les deux Edith, la mère et little Edie. A l'heure de la crise économique mondiale, où l'on parle beaucoup en ce moment du déclassement social et professionnel, ce film, sans l'avoir prémédité, a une résonance toute particulière où chacun peut se sentir potentiellement concerné à son échelle.
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photo HBO
Pourtant, le film le montre bien, les deux Edith vivent en dehors de la réalité, meublant leurs journées de danses, de chansons et de disputes, marginales, anti-conformistes ne songeant qu'à leurs ambitions artistiques auxquelles elles n'ont finalement pas renoncé, niant, oubliant souvent leur âge. Deux vieilles poupées excentriques, payant cher d'avoir refusé les conventions sociales, la mère en peignoir ou en manteau à cause du froid dans son lit, la fille en turban et talons hauts parmi les ordures s'entassant dans le désordre indescriptible de la maison plongée dans la pénombre, les deux affamées se partageant parfois une boite d'aliments pour chats. La visite de Jackie Onassis à Grey gardens où elle passait ses étés enfant est touchante, la tante Edith, restée très aristo dans ses manières, la reçoit en haillons dans le jardin en ruines en retrouvant les postures réflexes de la grande dame, faisant la conversation, mondaine, lui proposant même de venir se reposer chez elle quand elle veut, l'ancienne first lady est consternée…
le film de 2009 (photo HBO) ; le documentaire de 1976
Les deux actrices jouent chacunes deux rôles des deux Edith à presque 40 ans d'intervalle, à l'époque du documentaire, Edith senior a plus de 70 ans, sa fille Edie 55 ans. Jessica Lange est assez bluffante, méconnaissable en Edith âgée, encore très séduisante en Edith des années 30, commençant réellement à vieillir après le départ de son amant. Pour Drew Barrymore, c'est moins facile, elle est plus crédible en jeune femme qu'en quinquagénaire, comme le récit dit qu'elle perd ses cheveux avec le stress, le choix est de la montrer dans les années 70 avec toujours un foulard sur la tête, le maquillage marquant pas mal sa peau devenue bouffie mais ça ne convainc pas toujours alors que, bizzarrement, elle joue la seconde période plus sobrement que la première très surjouée en séductrice. En deux mots, on a ici une grande actrice qu'on voit trop peu (Jessica Lange) et une actrice populaire et sympathique en faisant souvent trop (Drew Barrymore). Le film, très téléfilm et on ne lui en demande pas plus, pâtit de ce décalage entre les deux comédiennes ; dans l'ensemble, le film est assez décevant, captivant uniquement par son sujet traité de surcroît trop superficiellement, comptant trop sur les performances des actrices au détriment des seconds rôles, des décors, de la période New-Yorkaise souvent réduite à des chambres d'hôtel. En fait, le film donne vraiment envie de découvrir le vrai documentaire des frères Maysles!
affiche du documentaire (1975) ; Lee et Jackie Bouvier (1968)
Il semble qu'après la diffusion du documentaire, le style Beale avec little Edie en manteau de fourrure et foulard entortillé sur la tête habillée de manière destroy et par manque de moyens et par excentricité ait inspiré des couturiers comme John Galliano et Marc Jacobs. Pour l'anecdote, après la mort de sa mère, little Edie vendit le domaine de Gray gardens et sur le tard réalisa modestement son rêve en faisant un numéro assez pathétique dans un cabaret. Les frères Maysles, réalisateurs du documentaire de 1975 avaient auparavant filmé rien moins Orson Welles, Marlon Brando ou les Stones dans « Gimme Shelter » en 1970.
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