Guy Gilles, Nouvelle vague proustienne : "L'Amour à la mer"
Guy Gilles sur le tournage de « L’Amour à la mer » (toutes les photos éditions Montparnasse)
Daniel Moosmann et Geneviève Thénier dans « L’Amour à la mer » (photo éditions Montparnasse)
Geneviève a rencontré Daniel, un marin, lors de vacances dété à Deauville, rares images en couleur de ce film, images dun bonheur perdu ou de lannonce dune promesse de bonheur, que la jeune fille revoit depuis sa chambre de bonne à Paris. Geneviève habite Paris, Daniel, de retour de son service militaire en Algérie, sest installé à Brest, la pluvieuse, dont Guy Gilles filme le pavé sempiternellement luisant de pluie, sublimes images de ce pavé noir mordoré sous la pluie la nuit peuplé d’ombres noires, avec au loin les façades des bars, les néons colorés des maigres plaisirs. Car Paris est quasiment toujours filmé dans une sorte de sépia, un noir et blanc tendance sépia, la couleur du souvenir, ce souvenir où Geneviève se plonge tout en vaquant à de modestes activités, un boulot de secrétaire, des discussions avec une copine.Ce qui est frappant et explique quasiment tout lesprit du film, ce sont les 13 jours de permission de Daniel qui vient rejoindre Geneviève à Paris. Période filmée en sépia, on est loin de l’image idéale d’un bonheur partagé de se retrouver imaginé par la jeune fille, le couple vit au présent des images qui sont déjà celles du passé, leur histoire na dintérêt que par rapport à leur rencontre lété davant à Deauville aux parasols multicolores sur la plage. Pour enfoncer le clou, passées les deux premières journées ensemble, on ne verra plus Daniel et Geneviève ensemble dans Paris à lécran, au lieu de les filmer, une pancarte insérée nous informe cruellement que les jours suivants de cette longue permission furent identiques tant la monotonie sest installée aussitôt dans ce couple. En revanche, aussitôt arrivé à Brest, Daniel sest installé dans un café pour écrire à Geneviève Difficile dêtre plus Proustien Cette idée abstraite dune possibilité damour quon nourrit religieusement à distance, va occuper un certain temps les deux protagonistes dont lune attend à Paris le retour de son amoureux (voire le retour de lété, saison de leur rencontre) et lautre dérive à Brest dans le lit dautres femmes, femmes blondes délurées (petit rôle pour Sophie Daumier) quand Geneviève, la sérieuse, est brune tendance auburn, comme la photo. Quand Daniel habitera enfin Paris après la fin de son service militaire, il rompra avec Geneviève, la réalité ayant eu raison de son déni, il naime pas cette femme, il naime plus Paris quil a tant aimé, dailleurs aime-t-il quelquun ou quelque chose d’autre que les paradis perdus ? A Brest, Daniel s’est lié d’amitié avec un marin, le film finira d’ailleurs sur cette piste, cet ailleurs d’un rapprochement avec un homme.
Que Guy Gilles ait démarré sa carrière comme photographe, cest flagrant, un soin extrême est apporté aux compositions, les images sont le centre du récit, les dialogues rares, avec lélocution distanciée de la Nouvelle vague apportant plus un ton nostalgique, une musicalité mélancolique, que des informations, une musique éclectique très présente aussi, vieille chanson française (comme chez Eustache) mais également les 4 Saisons de Vivaldi qui marquent les temps de lattente de Geneviève.
Daniel Moosmann dans « L’Amour à la mer »
Romy Schneider dans une scène coupée de « L’Amour à la mer »
Est-ce à cause de ce miroir ostensiblement dépressif quil tendait au public quil fut ignoré de son vivant ? Est- parce qu’il ne jouait pas le jeu de l’énergie nouvelle vague, de la jeunesse star, de l’auto-promotion? C’est en tout cas assez incompréhensible que ce cinéaste n’ait pas trouvé sa place, mort trop tôt ou trop tard, à la fois trop jeune et trop vieux, démoli par l’émergence de la folie broyeuse seventies.
Guy Gilles et Jean-Pierre Léaud (au centre), guest star de « L’Amour à la mer »
Notre note
(4 / 5)
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