Hommage à Albert et David Mayles, l’épopée « Grey gardens »
« Grey gardens » (1976)
Bien entendu, après avoir vu le téléfilm moderne, je rêvais d’accéder au vrai documentaire, c’est chose faite, j’ai pu visionner en avant-première, non pas un mais deux! documentaires sur Grey gardens, l’un complétant l’autre. Car du vendredi 30 avril au vendredi 7 mai, CinéCinéma Club rend hommage aux frères Mayles avec 5 films et 2 dates à retenir : le vendredi 30 avril avec « Meeting Albert Mayles » et surtout le vendredi 7 mai où on diffusera les deux documentaires, celui de 1976 « Grey gardens » et celui inédit de 2006 « The Beales of Grey gardens »!!! Auparavant, dimanche 25 avril sur CinéCinéma Classic, Jean-Jacques Bernard présentera un « Boulevard du classic » spécial Albert Mayles.
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A l’origine de ce documentaire, « Grey gardens », une commande de Lee Radziwill, la mondaine soeur cadette de Jackie Bouvier-Kennedy sur la famille Bouvier. Très vite, Albert et David Mayles sont fascinés par Edith Bouvier-Beales et sa fille Edie, 77 ans et 55 ans à l’époque, qui vivent coupées du monde à East Hampton dans le manoir décrépi de Grey gardens dans un mélange de précarité et de vestiges des fastes anciens. Mais l’odeur de la maison des Beales, occupée par de nombreux animaux sauvages, est si pestilentielle que les frères Mayles refusent d’y habiter… Néanmoins, Big Edie et Little Edie deviennent des icônes, certains stylistes s’inspirent même des coiffures enturbannées de Little Edie et lui dédient des modèles.
Le premier et le second film se complètent puisqu’il s’agit du même projet. Pourquoi les réalisateurs ont-ils supprimés certaines scènes du premier documentaire « Grey gardens »? Scènes qu’on va retrouver dans le second documentaire « The Beales of Grey gardens »? Sans doute par le choix de l’unité de lieu. Dans le premier film, tout se passe dans la maison confinée et le jardin de Grey gardens, ce qui illustre bien la réalité de ces deux femmes qui ne sortent quasiment jamais et reçoivent très peu, enfermées dans un tête à tête névrotique, parfois agressif, Little Edie reprochant à sa mère de l’avoir forcée à quitter New York où elle tentait une carrière de danseuse pour lui tenir compagnie à Grey gardens depuis 20 ans après le départ de son amant pianiste, lui-même ayant succédé au père d’Edie parti depuis longtemps. La mère, moins agressive, est emmurée dans un égocentrisme immense qu’elle résume en disant qu’elle n’a jamais aimé dans la vie que sortir et chanter, arguant qu’elle a fait revenir sa fille pour son bien parce qu’elle aimait les bains de mer et ne gagnait pas sa vie à Manhatan. Et la mère chante, et sa fille danse, tout le long des deux films, les deux femmes passent de vieux disques, regardent des vieilles photos du temps de leur splendeur, n’ayant pas l’air de mesurer à quel point elles étaient belles et huppées sur ces photos, n’en retenant que des détails, la robe qu’elles portaient, le photographe qui a pris le cliché.
« Grey gardens » (1976) / « The Beales of Grey gardens » (2006) / Le téléfilm (2009) avec Drew Barrymore et Jessica Lange
Dans le second film « The Beales of Grey gardens », il y a quelques scènes d’extérieur où Little Edie sort de la maison pour aller à la messe ou à la plage accompagnées des deux frères Mayles. Il y a aussi quelques visites de tiers et la présence récurrente d’un ado dont s’est entichée Big Edie et que supporte mal Little Edie, des allusions au mariage de Jackie Kennedy auquel elles n’ont pas été invitées, des décomptes des prétendants qu’aurait pu épouser Little Edie et des histoires d’argent et de chats qui ont envahi la maison (plus développées que dans le premier film). Au fond, toutes les images, à quelques longueurs près, auraient pu être incorporées dans le premier film… Ce documentaire en deux parties, c’est ainsi qu’il faut l’appréhender, est à la fois fascinant et émouvant, filmé comme une téléréalité bien avant l’heure, montrant le déclassement social de deux femmes d’une grande dignité que leur excentricité, leur folie douce, leur passion pour l’art, sauvent partiellement de la lucidité et du malheur de se rendre compte de leur chute. Les Beales, aristocrates ruinées ayant sombré dans une mélancolie extravertie, se nourrissant du spectre des splendeurs passées, font face courageusement à une réalité qui au fond ne les concerne pas vraiment, sauf pour les restrictions matérielles dont elles sont les victimes, car, mentalement, elles sont restées ce qu’elles ont été. Un écrivain a écrit un jour (je peux retrouver le livre à l’occasion…) que quand on a été beau, on le reste toute sa vie… L’image mentale de soi n’a souvent rien à voir avec la réalité, un mécanisme surdéveloppé chez les Beales…
Albert Mayles
Les tenues de Little Edie sont incroyables, on comprend qu’elle ait inspiré des créateurs, drapée dans des châles immenses qu’elle noue en robe, des drôles de pulls ou mantilles ou foulards enroulés en turbans sur la tête, piqués de broches, de bijoux, car la quinquagénaire au coeur de jeune fille a perdu ses cheveux depuis quelques années. Big Edie est filmée souvent couchée, à moitié dévêtue, une robe de chambre et un chapeau de paille grignoté par un raton-laveur pour prendre le soleil, monstre de futilité se plaignant qu’on lui avait prédit 7 maris et qu’elle n’en a eu qu’un seul, qu’elle fut jadis une épouse et une mère comblée et puis l’art a pris le dessus, elle s’est installée à Grey gardens dans un premier temps pour chanter avec ce fameux pianiste, accompagnateur au piano quand elle chantait… Le film, les films donnent une impression d’oisiveté abyssale surchargée de petits rituels et de conversations répétés en boucle à se souvenir et à se chamailler inlassablement, les deux femmes sont paradoxalement occupées en permanence par des riens prenant toute la place, tout le vide. Ca me fait penser à une réplique de Philippe Noiret dans « Coup de torchon » disant « ici on a tellement le temps de lire qu’on ne lit plus », c’est ainsi que fonctionnent les Beales à avoir tant de temps de libre qu’elles le remplissent avec une foule d’ occupations dérisoires, en grande partie par le recyclage du passé à leur manière.
Visions d’Amérique/Hommage à David et Albert Mayles.
dimanche 25 avril :
à 20h20 : Bd du classic « spécial Albert Mayles » sur CinéCinéma Classic.
Tout le reste du programme sur CinéCinéma Club.
vendredi 30 avril
à 22h40 : « Salesman » (1969). Les frères Mayles suivent pendant deux mois une équipes de 4 vendeurs de bibles à domiciles.
à 0h15 : « Meeting Albert » (2009), portrait d’Albert Mayles.
à 1h05 : « Running fence » (1978). Documentaire sur le couple connu sous le nom d’artiste de Christo.
vendredi 7 mai 2010 :
à 21h00 : « Grey gardens » (1976)
à 22h35 : « The Beales of Grey gardens » (2006) (inédit)
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