« L’Autre monde » : naissance de la femme fatale virtuelle
Pitch
Un jeune homme heureux, amoureux, entouré d'amis, va être attiré par une jeune femme dépressive et dangereuse qu'il sauve d'un suicide dans la vie réelle et revoit ensuite en virtuel dans un jeu vidéo où elle cherche un compagnon pour mourir avec elle.
Une avant-première de ce film aura lieu dans le cadre de Paris-Cinéma le 8 juillet à 21h15 au MK2 Bibliothèque
Marion et Gaspard, jeune couple habitant la région de Marseille, trouvent un téléphone portable dans une cabine de bains sur la plage, il appartient à une dénommée Sam qui a donné rendez-vous par SMS à un certain Dragon dans une chapelle. Intrigués, Marion et Gaspard les suivent en voiture. Quand ils retrouvent le couple d’inconnus enfermés dans leur propre voiture dans une carrière isolée, asphyxiés par les gaz d’échappement, ils ne peuvent sauver du suicide que la jeune femme blonde, son compagnon d’infortune déjà mort. Au passage, Gaspard récupère un petite caméra DV qui a filmé la mise en scène du double suicide avec absorption préalable de comprimés et promesses de « partir ensemble » pour « la plage noire ».
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Cette « plage noire », Gaspard va la retrouver dans un jeu vidéo « Black hole » où il crée son avatar qu’il appelle Gordon afin de revoir Sam. Le passage de la vie réelle à virtuelle est fluide bien que le réalisateur ait pris soin de typer les deux univers, on démarre le film par la scène clé du jeu vidéo, gris, sombre, crépusculaire, on enchaîne sur la lumière sensuelle de la région de Marseille où Gaspard et Marion sont amoureux sur une plage des Calanques de Cassis. Un univers virtuel polaire, un univers réel solaire. Mais aussi des images « entre-deux » assez subtiles du passage du réel au virtuel quand, par exemple, Gaspard, enfermé chez lui, est aspiré par l’écran de son ordinateur en recherchant, captivé, Sam dans les dédales de « Black hole », laissant sonner dans le vide le téléphone de la vie réelle qui ne l’intéresse plus.
Comme le savent bien les geeks, d’une certaine façon, le virtuel recopie la vie… Il y aura donc correspondance entre Sam, la femme fatale du « Heaven » chantant les yeux bandés en robe façon « Gilda » , hommage au film noir, et Audrey, la blonde platine vénéneuse, dont Sam est l’avatar, que Gaspard va croiser par hasard dans un appartement moderne au dernier étage d’une tour glaciale où elle vit avec son frère Vincent et une bande de voyous plus ou moins dealers.
photo Haut et court
Il y a plusieurs couples dans ce film, dans la lumière, le couple idéal que forment Gaspard, le type bien dans sa peau, et Marion, la jeune fille spontanée, aimante, trop parfaite, et, à l’opposé, le couple Vincent et Audrey, frère et soeur névrosés, l’un protégeant l’autre de ses pulsions suicidaires mais jouant à James Dean dans « La Fureur de vivre » sur une falaise la nuit. Ces deux mondes vont se rencontrer avec l’ébauche du couple improbable Gaspard et Audrey, elle le fascine par son côté obscur, il l’ennuie mais la rassure par sa normalité…
photo Haut et court
Troublant et crédible, le tandem Grégoire Leprince-Ringuet, un des acteurs les plus doués aujourd’hui, et Louise Bourgoin, étonnante en créature ayant déjà dans la vie réelle un pied dans le virtuel, coiffée, maquillée, habillée comme une ombre, cheveux platinés brûlés, peau livide, lèvres pâles, vêtements noirs, tatouage noir en bas des reins et surtout le regard noir basculant dans un ailleurs entre dépression et folie. Malgré tout, le film a quelques menus défauts comme parfois un manque de rythme et surtout une fin surnuméraire après une scène qu’on aurait nettement préféré comme fin. Pour ma part, j’aurais aimé que le film soit moins clean, les pistes du film noir plus exploitées, les relations entre le frère et la soeur plus étoffées (on pense au film « On ne meurt que deux fois » de Jacques Deray avec le couple frère et soeur Xavier Deluc et Charlotte Rampling), qu’on ose davantage la correspondance virtuel/réel. En deux mots, le film est un peu trop sage, pas assez radical, il ne manquait pas grand chose…Le réalisateur dit s’être inspiré pour son film de ces rencontres internet de jeunes gens au Japon pour se suicider à deux, à la fois pour ne pas mourir seul et pour érotiser de manière ultime une relation, ce qui n’est pas très étonnant, s’agissant du pays, car ce thème de mourir ensemble pour des amants existe déjà au Japon depuis longtemps, stade extrême de la passion partagée. L’originalité consiste à avoir transposé ce thème dans l’univers virtuel très contemporain devenu notre « Second life ».
Jacques Deray (1985)
Notre note
(4 / 5)
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