« L’Ordre et la morale » : l’Apocalypse selon Kassovitz
Pitch
Entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988 qui opposait les candidats Mitterrand et Chirac, une prise d'otages de gendarmes en Nouvelle Calédonie tourne au massacre des habitants pour des raisons politiques.
Il y a eu le choc « Un Prophète » de Jacques Audiard, film bien supérieur à tout ce qu’on peut voir dans le cinéma français depuis quelques années, à la rentrée, il y aura « L’Ordre et la morale ». Invitée par le distributeur à voir ce film début juillet en compagnie de quelques autres blogueurs ciné, j’en suis sortie emballée. Mais j’avais accepté auparavant de rien dire sur le film avant le 6 septembre, date du début des avant-projections, j’ai donc résisté, à regrets, car quel film! Disons-le clairement, on a affaire ici à du grand cinéma et je pèse mes mots. « L’Apocalypse now » du cinéma français? on y pense parfois…
photo UGG distribution
C’est une histoire parfaitement authentique, quand François Mitterrand brigue un second mandat en mai 1988, il va débattre contre Jacques Chirac à la TV entre les deux tours, et le battra, comme on sait. Lors du débat télévisé, la question de la prise d’otages des gendarmes en Nouvelle Calédonie est évoquée, le film passe l’extrait TV, deux minutes. Ce dont on se rappelle peut-être moins, c’est qu’à l’époque, on est sous le régime de la cohabitation, Mitterrand à l’Elysée et Chirac, premier ministre, avec, pour ministre des départements et territoires d »Outre-mer, le non regretté Bernard Pons qui fait partie de sa garde raprochée : alors que Pasqua, ministre de l’intérieur, s’occupe d’une autre prise d’otages, On envoie Pons à Nouméa régler la question. Laquelle? Lors d’une embuscade qui a mal tourné, certains tués dans la panique dont un gendarme, une poignée d’indépendantistes Kanak ont pris 30 gendarmes en otage qu’ils ont réparti en deux groupes. Très vite, les 15 otages du sud sont libérés. Quand, après 35 heures d’avion, le capitaine Legorjus du GIGN, débarque en Nouvelle Calédonie avec ses hommes, il est sidéré de voir que l’armée de terre française a déjà expédié 300 militaires sur place avec à sa tête le général Vidal. Sommé de se fondre à l’armée et de prendre ses ordres chez Vidal, le GIGN ne peut plus faire son travail de négociation, il doit louvoyer.
photo UGG distribution
Le
capitaine Legorjus va tenter d’approcher le groupe du nord, mené par Alphonse Dianou, réfugié dans la grotte d’Ouvéa. Bien qu’on ait voulu rattacher le groupe de rebelles au FLNKS, classé organisation terroriste par le gouvernement français, ce n’est pas le cas, la plupart des hommes de Dianou sont des villageois, pères de famille, dépassés par les évènements. Le FLNKS, au contraire, tend à se faire prier pour revendiquer la prise d’otages. Le capitaine Legorjus, bien que soutenu mollement par le commandant Prouteau, super-gendarme conseiller à l’Elysée, se voit mettre les bâtons dans les roues par le ministre Pons, aboyant des ordres depuis sa confortable résidence à Nouméa, qui veut que l’armée passe à l’assaut pour faire un coup électoral. Non seulement la volonté de négociation de Legorjus est inutile mais elle n’est plus d’actualité pour le gouvernement Chirac, Pons finira par interdire à Legorjus de se rendre dans la grotte où il a noué à l’arraché des contacts avec les rebelles qui sont décidé à rendre les armes. Pour couronner le tout, Mitterrand signera lui aussi l’ordre d’assaut (le générique précise qu’il reprendra les négociations avec le FNLKS au lendemain de sa réélection). Alors que Philippe Legorjus avait obtenu par la force du dialogue la confiance et la promesse de reddition d’Alphonse Dianou, par la volonté politique clientéliste de Matignon, la lâcheté complaisante de l’Elysée, l’affaire se termine en carnage.Démarrant sur la cauchemar éveillé du capitaine
Legorjus qui tente de se souvenir pourquoi les choses ont dégénéré, des images floutées de l’enfer dans un décor paradisiaque défilant sous ses yeux, flash-back. Un coup de fil en pleine nuit à Paris, le GIGN, Legorjus et ses hommes dans l’avion pour la Nouvelle Calédonie… Le film se déroule sur dix jours de J10 à J1… Une mise en scène magnifique amplifiée par le son d’un gong, une interprétation nickel (Mathieu Kassowitz, Malik Zidi, Sylvie Testud, Philippe Torreton), l’adéquation entre la violence du sujet et la force narrative et visuelle de la démonstration, un seul petit bémol : un excès de détails et précisions, un côté didactique… Mais un film français de cette force et de cette qualité, il faudra attendre des années avant d’en retrouver un autre! Cette renaissance de Mathieu Kassovitz réalisateur, devrait être l’évènement cinéma de l’automne, d’autant qu’en outre, à quelques mois des présidentielles, ça risque d’être parlant même pour des sourds!
Notre note
(5 / 5)
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