« Le Baiser de la femme-araignée » (« O Beijo da mulher-aranha ») : la cavale
Hector Babenco, 1985
Au début des années 80, le réalisateur brésilien Hector Babenco se fait connaître avec « Pixote, la loi du plus faible » (« A Lei do Mais Fraco », 1981), un film très violent décrivant sans ambages l’univers carcéral brésilien. Reprenant le même environnement des ignobles geôles brésiliennes, où les portes claquent la nuit quand on ramène un prisonnier en sang cagoulé de la torture, pour « Le Baiser de la femme-araignée » (« O Beijo da mulher-aranha », 1985), la prison ne sera pas le sujet du film mais le cadre car le réalisateur isole deux personnages dans une cellule dont il filme le tête à tête au jour le jour et l’évolution de leur relation. Deux hommes qu’à priori tout sépare, l’un, Molina, est un homosexuel vieillissant romantique, traînant en peignoir de satin usé, entouré de photos de Rita Hayworth épinglées sur les murs, condamné pour détournement de mineur, l’autre, Valentin, un journaliste macho prisonnier politique et soumis régulièrement à la torture. Que font ces deux-là seuls dans une cellule crade et lugubre mais tout de même mieux installés avec une porte qui ferme que les grappes humaines entassées dans des cellules voisines à barreaux où il y a si peu de place qu’on doit rester debout…J’avais lu autrefois « La Cavale », un livre d’Albertine Sarrazin, écrivain qui a passé une partie de sa vie en prison, comme son nom indique le contraire, ce livre décrit le quotidien de la vie d’Albertine et de ses codétenues en prison qui ne rêvent qu’à une chose : s’évader, la cavale… Dans « Le Baiser de la femme-araignée », Molina s’évade en rêvant de films anciens, comme l’histoire d’amour tragique d’une star rétro de la chanson française sous l’occupation ayant le coup de foudre dans un cabaret pour un officier nazi blond comme les blés, beau comme Zeus. D’abord pour survivre, ensuite pour aider Valentin, Molina raconte et le film montre des extraits de ces vieux films dont lui parlait sa mère qu’il arrange à sa manière, images sépia rosies de drames de la passion, la femme araignée seule sur son île emmurée dans sa toile, la résistante française enceinte de l’occupant nazi, la chanteuse cédant à la passion pour le bel officier SS et mourant dans ses bras.
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Longtemps exaspéré par Molina qu’il considère comme futile et immature, Valentin finit par être touché par sa générosité. Petit à petit, chacun se raconte un peu, on a quelques flash-backs sur des souvenirs, Molina parle de son amour platonique pour un garçon de café, un homme vient passer la commande et il est foudroyé d’amour, Valentin qui a parlé dans son sommeil d’une certaine Marta en vient à se confier, une grande bourgeoise étrangère à son combat politique dont il s’est épris mais l’a mis en demeure de choisir entre elle et la clandestinité. En prison le rêve et les souvenirs embellis sont les seuls moyens d’évasion à la fois des corps et des désirs.
Comme dans les films mélo romantiques qu’il raconte, Molina va tomber amoureux de l’ennemi, en l’occurrence de Valentin.. Un amour d’autant plus gênant que Molina fait l’objet d’un chantage de la part de la police militaire qui lui fait miroiter la liberté en échange de renseignements sur le réseau politique de Valentin.… Ecartelé entre son envie d’être libéré pour retrouver sa mère avec qui il habite et son amour pour un homme qu’il a cherché toute sa vie dans les bars et qui se trouve à présent sous son nez dans cette cellule, Molina va finalement à l’extérieur retrouver une autre liberté que la recherche de l’amour et du plaisir… Valentin., resté en prison, lui, au contraire, aura appris la liberté de rêver, d’assumer ses désirs, de ne plus être prisonnier de ses préjugés.
Dans ce mélo vrai, on a souvent les larmes aux yeux tant la composition de William Hurt est stupéfiante de justesse et de sensibilité dans le rôle de Molina, les cheveux trop roux barrés de mèches blanchies, les peignoirs à fleurettes, les petits blousons en satin, préparant le thé dans ce bouge, lavant les draps et le corps empoisonné de son codétenu, le regard empli d’un désespoir incurable, et parfois un sourire esquissé quand revient l’espoir insensé du bonheur malgré tout. Entre réalisme impitoyable du cadre, de l’environnement policier et histoire d’amour improbable, audacieuse, désespérée en miroir des mélodrames du cinéma salvateur, c’est un film unique comme on osait encore en faire au début des années 80, à voir absolument, mêmes les coeurs secs retrouveront leurs larmes refoulées tant c’est beau, tragique, pudique. Cocteau disait « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des actes d’amour… », c’est un peu l’idée du film, aussi…
Notre note
(5 / 5)
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