«Le Départ» : la course contre la montre #Cannes2018
Pitch
Un garçon-coiffeur rêve de prendre le départ d'une course automobile. Pour cela, il emprunte régulièrement la Porsche de son patron. Mais celui-ci s'apprête à partir en week-end...
Notes
Ce film très rare de Jerry Skolimowski (Ours d’or à Berlin, 1967), déjà repris confidentiellement en salles en 2011, est présenté cette année au 71º Festival de Cannes. Jean-Pierre Léaud, ici dans sa période la plus féconde, y est époustouflant.
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Jean-Pierre Léaud est coutumier à l’époque de ce genre de rôles : dans « Le Père Noël a les yeux bleux » (1966) de Jean Eustache, il joue un jeune homme qui rêve de s’offrir un duffle-coat. Marc, garçon-coiffeur dans un salon chic, ne pense que voiture. La nuit, il « emprunte » la Porsche 911S de son patron avec son accolyte du salon de coiffure comme co-pilote. Au retour, les deux jeunes gens lavent la voiture, la bichonnent, trafiquent le compteur pour effacer les kilomètres. Soudain, c’est la catastrophe, le patron part en WE. Or, Marc a l’idée fixe de prendre le départ d’une course automobile près de Bruxelles. Plan B, se faire passer pour le secrétaire d’un milliardaire indien (son copain déguisé) pour voler une Porsche dans un garage. Mais la voiture ne convient pas, c’est le modèle 911S de Porsche qu’il faut à Marc. Vol de perruques, rendez-vous avec une riche cliente en quête de gigolos (comme dans « Deep end »), vente d’objets volés chez la patronne, cliente du salon, rencontre d’une jeune fille blonde, Michèle, qui devient un plan drague et un peu plus.
photo Malavida
Le premier plan est terriblement moderne, un col roulé, sous ce col roulé, se débat un jeune homme, enfin, il sort la tête du pullover, c’est Marc (Jean-Pierre Léaud). Marc court tout le temps, pour ne pas être en retard, après la voiture de ses rêves, contre le temps, fuite en avant… Il y a des scènes merveilleuses poétiques, créatives, comme on n’en oserait plus aujourd’hui : s’enfermant au salon de l’auto dans le coffre d’une voiture, Marc et Michèle vivent une nuit de complicité dans le lieu désert, scène dans une voiture d’exposition qui se découpe en deux et dont les deux parties de la voiture s’éloignent et se rapprochent comme une paire de ciseaux, les deux branches d’une entité. Et cette observation muette et lucide avant l’heure de la société de consommation, les affiches dans les rues, sur les murs, avec les visages en gros plan qui semblent vous juger, à la fois idéales et terrifiantes, tel ce poster géant dans l’arrière-salle du salon de coiffure, une femme trop belle, trop maquillée, à la fois déesse de la beauté et sorcière inquiétante. Plus tard, la cruauté de la jeunesse, ce défilé de mannequins en maillots de bain au bord d’une piscine, les corps parfaits, les ventres plats, les visages à peine filmés des modèles ; en revanche, dans la salle, pas de corps filmés mais les visages en gros plans des femmes vieilllissantes, épaisses, ridées, comme cette cliente milliardaire du salon engoncée dans ses faux-cils énormes qui a les moyens d’offrir une Porsche à Marc en échange de quelques petits services.
photo Malavida
La fin du film est désespérée sous des allures de presque happy end, une fin tellement sobre et éloquente, comme un effacement du rêve. On pense à « A Rebours » de Huysmans, quand Des Esseintes s’étant épuisé à préparer son voyage à Londres, comprend à la gare Saint Lazare qu’il a déjà fait trop de fois le voyage dans sa tête et rentre chez lui, un thème universel. Bien qu’ici le réalisateur offre une alternative aux romantiques, leur laissant une porte entrebaillée, une fin ouverte. « Deep end » est plus violent, plus extraverti, plus frontal, mais, au fond, « Le Départ » n’est pas moins poignant sous son insidieuse légèreté. Seul minuscule bémol, la BO, si les séquences d’ivresse au volant sont filmées sur du jazz violent, comme on cela se faisait beaucoup, ça donne du charme, une patine sixties, la chanson de Christiane Legrand, elle, est datée, démodée, un peu envahissante, mais c’est peut-être une question de goût.« Le Départ » fut financé par une riche émigrée polonaise, femme d’un banquier belge. Le tournage et l’action du film se passent donc à Bruxelles où le héros court à la poursuite du bonheur, incarné par une Porsche introuvable et l’inscription hypothétique au départ d’une course automobile à Spa. Représentant majeur avec Polanski de « L’Ecole de Lodz », c’est le seul film belge de Skolimowski entre la Pologne et l’Angleterre. Présenté à Berlin en 1967, il y obtint l’Ours d’or.
Et aussi
[caption id="attachment_18567" align="aligncenter" width="368"] Photo Malavida[/caption] POST DÉJÀ PUBLIE LE 7 septembre 2011
Notre note
(5 / 5)
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