« Mourir d’aimer » : hier et aujourd’hui
André Cayatte 1970, Josée Dayan 2009
Pitch
Adapté d'une histoire vraie, "l'affaire Gabrielle Russier" : sur fond de libération des moeurs, une liaison passionnée entre un prof de français aux méthodes peu académiques et un élève de sa classe provoque un tel scandale que l'enseignante finira par mettre fin à ses jours. Dans l'intervalle, elle connaîtra l'exclusion, la prison, et lui les hôpitaux psychiatriques.
J’ai fait cette semaine mon parcours « Mourir d’aimer » avec la primo-version d’André Cayatte dimanche dernier et le remake de Josée Dayan mardi soir sur France 2. Cayatte avait choisi Annie Girardot l’actrice populaire par excellence des années 70 et un certain Bruno Pradal. Pour rester dans les actrices empathiques plaisant au plus grand nombre, Josée Dayan a choisi Muriel Robin. Petit bémol, si dans la vraie vie, Gabrielle Russier (professeur de français à Aix en Provence dont le suicide défraya la chronique) n’avait que 15 ans de plus que son élève, dans la première version de « Mourir d’aimer » en 1970 Annie Girardot avait déjà le double de l’âge de son élève, un grand mec de 18 ans (la majorité était alors à 21 ans), et dans le téléfilm en 2009, on ose le triple, Muriel Robin en aurait 42 et son élève 16… Je n’ose penser à la prochaine version…
« Mourir d’aimer » d’André Cayatte, 1970
« Mourir d’aimer » de Josée Dayan, 2009, photo France 2
Différence de fond, si Cayatte avait pris le parti de filmer très rapidement les images du bonheur sous la forme de photos de vacances, démarrant son film en voif off de l’élève parlant à un policier après le suicide de l’enseignante, n’abordant frontalement le sujet que quand les choses tournaient mal, l’essentiel du film focalisé sur le harcèlement dont va faire l’objet le couple, Josée Dayan fait l’inverse : elle raconte surtout les étapes de l’histoire d’amour, les questionnements engendrés par la différence d’âge et les répercussions sur l’entourage et ne s’attarde pas sur le chemin de croix carcéral de Gabrielle et les enfermements en HP de l’élève…
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On sent Muriel Robin mal à l’aise dans les scènes en classe mais beaucoup plus sensible dans l’emploi de la femme ayant renoncé à une vie privée et se trouvant confrontée à une histoire d’amour lui tombant dessus comme une prolongation inespérée du match de la vie amoureuse. Mine de rien, on a en fait changé beaucoup de choses du personnage de Gabrielle : ce n’est plus tellement l’affaire Gabrielle Russier ou la transgression du tabou liaison d’un prof avec son élève sur fond de mai 68 libertaire mais 12 ans plus tard, une enseignante qui dit elle-même se trouver boulotte, pas terrible physiquement, obligée de teindre ses cheveux blancs, ayant des enfants du même âge, etc… Ce sont donc les années Giscard mais les élèves de la classe parlent comme aujourd’hui bien qu’on ait pris soin de supprimer les portables et internet, une ambiance un peu hybride. Rien à voir avec le corps de rêve d’Annie Girardot en minirobe et bottes, deux enfants très jeunes (ceux de Muriel Robin sont des ados), avec Bruno Pradal si grand qu’on lève la tête pour lui adresser la parole. Rien à voir non plus avec le hiatus immense entre les idées libertaires de mai 68 et la réaction des parents de l’élève pourtant combattants des barricades. Rien à voir avec l’enfer des HP et de la prison… Le temps a passé et on est plus préoccupé dans les années 2000 de différence d’âge dans un couple que de savoir si un élève et son prof peuvent s’aimer…
Au passage, on programme en ce moment (sur CinéCinéma Classic) un des meilleurs Cayatte sur le sujet prof et élève « Les Risques du métier » (1967) où Jacques Brel, l’instituteur du village, va être injustement dénoncé par trois de ses élèves pour attouchements sexuels. Le professeur ne trouvant pas la bonne distance par rapport à ses élèves est un sujet qu’affectionne Cayatte, dans « Après le déluge » (1953), on n’est pas loin des parents enseignants de l’élève de « Mourir d’aimer » s’agissant du portrait du père de famille (Bernard Blier) dépassé par les idées progressistes qu’il a enseigné à ses enfants quand sa fille (Marina Vlady) le prend au pied de la lettre. Bien que le père veuf d' »Après le déluge » soit nettement plus sympathique que les parents de Gérard dans « Mourir d’aimer », devenus soudain des justiciers réac. Josée Dayan a adouci les parents de l’élève avec le choix de Jeanne Balibar dépassée par son rôle de mère tout court.Dans la version de Cayatte de « Mourir d’aimer » (197O), très démodée aujourd’hui, datée pour le moins, il y a cependant des petits plus, comme le plaisir de revoir l’actrice Marie-Hélène Breillat, soeur de la réalisatrice, dans le rôle d’une ravissante junkie rencontrée en prison, ou Nathalie Nell, déjà l’actrice principale des « Risques du métier », dans le rôle d’une élève de la classe de Danielle/Gabrielle. Sans parler de la joie de voir Annie Girardot comme on préfère en garder le souvenir, grave et pétillante, superbe. Dans les deux films, une phrase clé est conservées : « La liberté, oui, pas la license! »
Notre note
(3 / 5)
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