« Possessions » : le chalet
Pitch
Un couple de Lillois met le cap sur la montagne en espérant trouver du travail et de meilleures conditions de vie. Dès leur arrivée, leur chalet n'étant pas libre, les propriétaires du lotissement les baladent d'un lieu à un autre, la situation s'envenime.
Quand on lit le synopsis du film, on se dit « tiens! ça ressemble à « La Cérémonie » de Chabrol » et quand on a vu le film, on se dit que c’est effectivement le même thème mais que ce n’est malheureusement pas du Chabrol… Un couple du nord de la France, désireux d’améliorer un train de vie précaire, décide de s’installer à la montagne et loue pour cela à distance un chalet à une société. Quand Pierre et Maryline Caron et leur petite fille arrivent dans une station de montagne plutôt chic, ils sont reçus par le couple Castang, les propriétaires de ce qui va s’avérer un lotissement de chalets de grand standing. Dès l’arrivée, un contretemps (qui va dégénérer) est à l’origine du drame final : les Caron (Jérémie Renier et Julie Depardieu) n’ont pas accès au chalet que les Castang (Lucien Jean-Baptiste et Alexandra Lamy) leur ont loué, ces derniers prétendant que les travaux ne sont pas terminés. Or, très vite, les Caron se rendent compte que ce chalet ne sera jamais prêt, d’autant que Patrick Castang n’a pas très bonne réputation en affaires dans la région.
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photo Incognita films
Patrick et Gladys Castang vivent sur un grand pied, installés dans un chalet immense, accumulant les objets de consommation onéreux comme cette salle de bains (avec crèmes cosmétiques hors de prix et parfums en édition limitée) que nettoie, sidérée, Marilyne Caron. Car Patrick Castang a offert à Maryline un emploi de femme de ménage chez eux, ce qui n’est pas du goût de sa femme sur l’instant. Dans leur condescendance désinvolte, le ménage Castang accumule les gaffes vis à vis des Caron, c’est ce qui est le mieux rendu dans le film. Le problème du chalet loué au départ ne sera jamais réglé, pire, en croyant dédommager la famille Caron en les logeant dans un chalet beaucoup plus grand que celui qu’ils ont payé, Patrick Castang va allumer la mèche de la haine, la rancune, lorsqu’ils les délogera par la suite pour des nouveaux clients, en leur faisant remarquer que le prix n’est pas dans leur budget. Si le transit par l’hôtel de luxe de la station est assez artificiel avec beaucoup de clichés (genre Marilyne Caron met le son de sa TV à tue-tête, les copains s’empiffrent aux frais des Castang), le transfert du chalet, de l’hôtel, pour un appartement banal, dans un quartier excentré, très mal vécu par les Caron et un couple de leurs amis qui les ont rejoint, est assez crédible. Mais le pîre n’est-il pas finalement que les Caron se sont cru amis avec les Castang qui les ont rejeté ensuite?
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Le film tient surtout par son interprétation, l’incarnation des personnages, la mise en scène est assez loupée, tant qu’à faire, il valait mieux éviter les effets nase, et si le couple Castang est crédible, Alexandra Lamy jouant parfaitement la BoBo hédoniste, exagérément aimable, le couple Caron (pourtant parfaitement interprété) est outré dans sa caractérisation, ses réactions, ses dialogues. Malgré tout, quelques détails sont bien observés comme le maquillage bleu nacré pas seyant de Marilyn Caron, ces vêtements dont les Castang ne veulent plus que Gladys donne à Marylin sans se rendre compte de sa maladresse, l’horrible champ de bataille d’assiettes sales et de restes des lendemains d’un réveillon de 50 invités chez les Castang que doit ranger Marilyn, Gladys mettant vaguement la main à la pâte, puis, préférant sortir. Bien observée aussi la pression que met Marylin sur son mari qu’elle considère comme un raté et dévalorise, le poussant, sans le vouloir, à passer à l’acte.
L’affaire n’était sans doute pas facile à imaginer de l’intérieur des personnages pour les scénaristes car il s’agit de la transposition libre d’un fait divers tragique : « l’affaire Flactif » en 2003, l’assassinat d’une famille par un de leurs voisins qui était aussi leur locataire. Un locataire qui s’exprimait à la télévision, sans complexes, après le massacre de la famille Flactif, ce que rapporte aussi le film en poussant un peu loin les choses, le couple Caron censé être fasciné par leur passage à la télévision. Le mobile officiel de
« l’affaire Flactif » : s’approprier un chalet. Le réalisateur, lui, a tablé sur la description des mécanismes de la montée de la jalousie, de la convoitise (sur l’affiche, « Tu ne convoiteras point »), du passage de l’envie à la haine.
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Bien que sur le DP, le réalisateur affirme avoir voulu faire un procès de la société de consommation où « je possède, donc j’existe » (d’où le titre), dans son film, il passe à côté du sujet, pourtant dramatiquement d’actualité, qui restera ici en filigrane, en toile de fonds : une période de crise, de mondialisation anarchique, où le fossé entre une minuscule frange d’ultra-riches et le reste du monde se creuse tous les ans ; une société marchande où la publicité omniprésente, omnipotente, spécule sur la frustration de posséder ou pas des objets synonymes d’avoir « réussi sa vie » selon une échelle des valeurs exclusivement matérielle, où le surendettement (scène de Maryline Caron avec sa banque) s’abat sur des franges de plus en plus larges de la population comme autrefois la famine.Le film met mal à l’aise, les acteurs sont parfaits, mais était-ce avisé de s’appesantir à ce point sur la psychologie supposée des protagonistes d’une affaire criminelle? Est-ce que le fait divers en soi n’était pas assez « parlant » ou justement ne gagnait-il pas à emporter son « dessous des cartes » avec lui? Quand on pense à « L’Adversaire » sur « l’affaire Romand », où la part de mystère est conservée judicieusement, ou à la réussite de la série doc sur « l’affaire Michael Peterson », 18 mois de tournage en immersion, de la mesure, très peu de parti pris, c’est autre chose…
Lire aussi « The Staircase » (sur « l’affaire Michael Peterson »)…
Notre note
(3 / 5)
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