« Sylvia » et « Les Femmes du braconnier » : la malédiction Sylvia
—–
A l’époque, le narrateur subit le typhon Sylvia, terrifié par l’idée de la contrarier et ne parvenant jamais à la satisfaire, supportant les scènes incessantes et les crises d’hystérie, les objets volant dans leur petit appartement crasseux et mal tenu où elle ne fait jamais ni le ménage ni la cuisine. 30 ans plus tard, l’écrivain semble avoir compris que sa Sylvia était folle, comme on dit, un mot qu’il se garde bien d’employer ou très rarement. Une Sylvia dont il se rappelle parfois combien il la trouvait belle, touchante ou désirable malgré tout, avec qui le seul remède était de l’emmener au cinéma tout oublier après leurs disputes d’où ils sortaient apaisés. Sylvia dans le coma, le jeune homme, dévasté, pense à l’emmener au cinéma quand elle se réveillera…
Une « histoire (qui) commençé sans début », voilà le style détaché, autodérisoire, lucide, du roman ; jeune homme, Leonard rencontre Sylvia, une jolie brune piquante, et se retrouve aussitôt dans un lit avec elle, dans un appartement ensemble, puis dans un autre, marié, deux ans plus tard parce qu’elle y tient, avec un seul garde-fou : son journal qu’il cache, écrit la nuit dans une pièce glacée (la chambre froide), une distance de quelques mètres dans un logement minuscule que son épouse a le plus grand mal à supporter se considérant « abandonnée » seule dans leur chambre. Qu’il sorte une demi-heure boire une bière avec un ami et c’est le drame. Le portrait de Sylvia est celui d’une jeune femme qui se déteste et cherche auprès de son mari une réassurance de chaque instant, le moindre faux pas, une phrase, un rire, et elle explose, se sentant humiliée, rejetée, pas belle, etc… Pour autant, l’auteur ne s’épargne pas, racontant les disputes et les hurlements partagés entendus par tout leur immeuble miteux avec des cloisons trop fines, des cafards et des toilettes sur le palier.
Ce petit livre si dense, si épuré, aussi sec qu’un chagrin sans larmes, a tout dans un grand livre, l’histoire intime déjà si forte en perspective des années 60 à New York dans un quartier comme Greenwich village où l’on peut croiser Kerouac et Ginsberg, où les drogues de toutes sortent circulent à plein régime, où l’on se détruit tranquillement sans état d’âmes, où une génération abrutie par l’absence de futur se vautre dans un ennui abyssal jouissif à fumer, parler, boire, se droguer des nuits entières. Paradoxalement, on rit souvent en lisant ce livre bouleversant dont on sait que les dernières pages vont mener inéluctablement à l’inconsolable, qu’il est encore temps de sourire quelques pages avant la fin en tournant les pages.
« Comme un corps, l’immeuble dégageait des odeurs et emettait des bruits. Je respirais les effluves de nourriture en train de cuire, d’encens en train de brûler, les bouffées de haschich et de produits contre les cafards. J’entendais les radios, les tourne-disques, la vieille dame italienne qui tous les jours hurlait « Bassano » et le pas de garçons qui couraient dans les couloirs… (page 13) » … en vérité, je ne savais pas exactement ce que je faisais ni pourquoi j’étais à Cambridge. Sylvia voulait que j’y sois… » (page 33)
« Il aurait été facile de quitter Sylvia. Si cela avait été difficile, je l’aurais peut-être fait » (page 56)
« Sylvia » de Leonard Michaels 1990, Christian Bourgois éditeur 2010.
Encore un livre sur le couple mythique de poètes américains Sylvia Plath et Ted Hugues qui fascine d’autant plus que Sylvia Plath, forte personnalité aujourd’hui considérée comme une des plus grandes poétesse américaines, s’est suicidée après que son mari Ted Hugues, avec qui elle avait deux enfants, l’ait abandonnée pour une autre femme, Assia Wevill, poétesse mineure qui se suicidera aussi quelques années plus tard, incapable d’affronter le fantôme de Sylvia…
? Le livre est assez asphyxiant à lire tant le style est riche et travaillé, tout le contraire du livre précédent « Sylvia » d’une sobriété et d’une densité blanche forçant le respect. Quand au sujet, « Son mari », de Diane Middlebrook (2003, éditions Phébus 2006), est autrement plus complet, entrant peut-être trop dans le détail comme une véritable enquête (défaut inverse) mais c’est le livre de référence sur le couple Sylvia Plath et Ted Hugues.Ici, l’auteur insiste sur la dimension animale et prédatrice de Ted Hugues, le braconnier, le chasseur, d’où le titre du livre, c’est intéressant mais peut-on écrire une biographie qui est en même temps une oeuvre personnelle à part entière? Au début de l’année, Sara Stridberg avec « La Faculté des rêves » a livré une création magnifique sur Valerie Solanas mais une biographie quasiment inventée, fantasmée comme « Les Mémoires imaginaires de Marilyn » de Norman Mailer, sans doute vaut-il mieux aller au bout de la démarche…
« Les Femmes du braconnier » de Claude Pujade-Renaud. Actes sud, 2010.
Laisser un commentaire