"The Assassination of Jesse James by the coward Robert Ford" : la naissance de la célébrité
L’attaque du train est un grand moment dans le film : préoccupé de réalité, le réalisateur casse tout de suite les codes du western classique, bien qu’il cède à la tentation de filmer la silhouette de Jesse James, le cow-boy, en ombre chinoise : et encore sa botte sur les rails, son oreille collée contre ce rail dont tout le monde sait que ça apprend que le train va arriver… Les gravillons sur la voie tressautent, le train approche, la lumière de la locomotive jaillissant dans le noir… On va voir ce qu’on ne montre jamais dans les westerns : l’incursion de la bande de Jesse James à l’intérieur du train, le wagon privé avec le coffre-fort et les wagons populaires avec les gens entassés, les enfants couchés dans les filets à bagages. Une violence non aseptisée, anti-héroïque, les frères James ont un foulard sur le bas du visage, les autres un masque de fortune en drap blanc, fantômes fantoches, faux gangsters fauchés sans rigueur basculant dans la violence gratuite, l’opération tourne mal et Jesse James n’est pas de reste : première démonstration des vagues de cruauté de l’homme, submergé par des mauvaises pulsions, il maltraite l’employé du coffre-fort, plus tard, il coupe la tête des serpents qu’il élève…
Non seulement, les relations entre Jesse James et Bob Ford sont le nud du récit, mais elles préfigurent les rapports pervertis dans la société actuelle avec le culte de la célébrité. A la fin de sa vie, Jesse James, diminué physiquement, en proie à des crises psychotiques, pourchassé à vie, déménageant sans cesse, nen peut plus. Dans la scène de lassassinat de Jesse James, tout est mis en scène pour que spectateur comprenne que Jesse demande à Bob Ford de le tuer (propos de Jesse James auparavant qui, perclus de maladies, dit que du ciel on ne regrettera pas son corps sur terre, etc) Il se désarme pour aller essuyer la poussière dun tableau Misfit entre les deux hommes : obnubilé par la peur dêtre démasqué comme un traître, Bob Ford va lui tirer dans le dos pour bien dautres raisons que de répondre à lappel de Jesse
Fasciné par la célébrité de Jesse James dont il collectionne les coupures de presse de lépoque, Bob Ford est parvenu à forcer son intimité. Mais cela ne lui suffit pas, comprenant enfin quil naura jamais létoffe dun nouveau Jesse James, il tente limpossible : devenir le surhomme qui a vaincu Jesse James La scène clé est au milieu du film, Jesse James dit à Bob Ford «je narrive pas à te cerner, tu veux être comme moi ou tu veux être moi?» Nayant réussi à nêtre ni lun ni lautre, Bob Ford sillusionne quil va être le tombeur de Jesse James, le justicier célébré dans toute lAmérique pour avoir débarrassé le pays de cette vermine Il nen sera rien, on fera de Jesse James un mythe et Robert Ford sera détesté avant dêtre complètement oublié Car, si Bob Ford a compris avant tout le monde tout le bénéfice dêtre célèbre, quelque quen soit la raison, il na pas prévu limpensable : que le public ferait de Jesse James un héros après sa mort.
Jesse James est la première star américaine, détesté de son vivant, entouré dune cour de parasites qui lenvient et le craignent, ennemi public numéro 1, il deviendra un mythe positif après sa mort, un Robin des bois qui redistribue les richesses. On a demandé à Brad Pitt pendant la conférence de presse si il avait accepté le rôle à cause de la correspondance entre lui et Jesse James, la traque Il a répondu simplement quil nétait pas pourchassé pour les mêmes raisons mais il na pas nié lévidence (voir le récit de larrivée de Brad Pitt à Deauville et de la conférence de presse dans une ambiance parano de camp retranché)
Le film est long, on va le dire et le redire mais il se passe un phénomène inverse à la vision de plupart des films où lattention se relâche au fur et à mesure du récit ; ici, passé lheure et demi où on a du mal à entrer (surtout dans le milieu du film où on a coupé pas mal de scènes avec l’épouse de Jesse James), la dernière heure est captivante et émouvante. Avec quelques restrictions pour lextrême dernière partie du film après la mort de Jesse James : cette dernière partie, posée en épilogue, à la fois trop longue et trop courte (et traitée dans un style différent), dénote lapplication du réalisateur à rester fidèle aux documents dépoque, à tout raconter ou pas assez Car la vie de Bob Ford après la mort de Jesse James pourrait justifier dune vraie seconde partie. Peut-être que dans la version initiale de 4h35, on na pas seulement supprimé les scènes de Jesse James avec sa famille mais aussi lhistoire de Robert Ford, le vrai (anti)-héros du film
info pratique : une avant-première de ce film est prévue le jeudi 4 octobre à 20h30 au cinéma des cinéastes à Paris.
Notre note
(4 / 5)
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