« The Heiress » (« l’Héritière ») : une vie enfermée à Washington square
William Wyler, 1949, sortie DVD 6 mai 2009
Lors d’un bal, Catherine Sloper, seule héritière de sa mère défunte et de son riche et tyrannique père médecin, rencontre le séduisant Morris Townsend. Empruntée, timide, sans beauté ni séduction, la jeune fille faisait tapisserie… Le lendemain Morris va lui faire une visite et encore beaucoup d’autres ; il lui déclare rapidement son amour, elle lui tombe dans les bras. Avant Morris, Catherine n’avait pas de vie que de faire de la broderie et de la cuisine, terrifiée à l’idée de déplaire à son père. Peine perdue, le père, inconsolable de la mort de sa femme, une beauté blonde pétillante, ne supporte pas que sa fille en soit le négatif et la trouve insignifiante.Pourtant, le père, comprenant immédiatement que Morris n’en veut qu’à la dot de sa fille, va s’opposer à leur mariage. Il emmène alors Catherine en Europe pour qu’elle oublie le jeune homme, ce dernier l’y encourage, espérant un retour en grâce auprès du père avec le temps. Dans l’intervalle, Morris séduit la tante qui garde la maison de Washington square, en faisant une complice. Le voyage est morne, le père se souvient de sa lune de miel à Paris avec sa femme, Catherine piaffe de rentrer à New York. Aussitôt arrivée, une conversation de Catherine avec son père va métamorphoser définitivement la jeune fille naïve et craintive en une femme dure : exaspéré qu’elle s’obstine à se marier avec Morris, le père lui balance ce qu’il pense d’elle, elle est terne et sans attraits, Morris n’en veut qu’à son argent… Catherine ne s’en remettra pas…
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Dans la nuit de leur retour d’Europe sous la pluie, Catherine persuade Morris, qui en nourrissait le projet, de l’enlever le soir-même pour se marier mais elle fait une erreur, elle lui confie qu’elle se passera de l’héritage de son père, ayant déjà hérité d’une belle rente de sa mère… Elle attendra Morris en vain… Les années passent, le père mort, Catherine est devenue aussi cassante et cruelle que son père…
Adapté d’une pièce de théâtre adaptée elle-même du roman « Washington square » de Henry James, le récit se passe à la fin du XIX° siècle dans une maison fermée, cossue, oppressante de Washington square à New York, avec des escaliers raides et sombres menant aux étages, unité de lieu où Catherine va passer toute sa vie. Olivia de Havilland accepte ce rôle ingrat de vieille fille naïve, maladroite, crédule, et obtient un second Oscar (après « Autant en emporte le vent »), le film en emporte quatre. Montgomery Clift n’a pas un rôle plus valorisant en interprétant ce dandy coureur de dot antipathique à qui il apporte pourtant à la fois beaucoup d’humanité et d’ambiguité au point qu’on ne sait plus parfois s’il ment ou dit la vérité, ou un peu des deux, tout semblant se mêler dans son esprit (très belle prestation de M. Clift). La dernière scène est un pic dans ce mélange du vrai et du faux où Catherine dit à la fois vérité et mensonge à Morris.
Mélo sec en noir et blanc avec des personnages un peu stylisés, des acteurs provenant d’univers différents, l’une star traditionnelle de Hollywood (Olivia de Havilland), l’autre plus jeune, nouvelle vague préfigurant Brando et Dean (Montgomery Clift), le dernier acteur shakeasperien austère (le père). Pourtant tout fonctionne, le casting audacieux est parfait : la première joue un personnage d’une jeune fille raide, asphyxiée par son éducation, le second un bellâtre oisif et ambigu, le troisième un homme dur et arrogant.
Mélo noir où chacun essaye de pallier le manque en réglant ses comptes sur un tiers, carence affective chez Catherine, inconsolabilité du veuvage chez le père, manque crucial d’argent chez Morris. Il y a du désespoir dans l’amour que se portent unilatéralement Catherine et Morris, désespoir de n’être pas aimée de son père pour elle, d’être pauvre pour lui. Le père détruit la vie de ce couple improbable qui aurait fonctionné parfaitement malgré l’imposture de départ, chacun consolant l’autre des ses carences. Sombre, l’image, l’histoire, le film…
DVD éditions Carlotta. En bonus, l’introduction du journaliste Christian Viviani, professeur de cinéma et critique à « Positif ». Sortie le 6 mai 2009.
Notre note
(4 / 5)
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