« The Legend of Lylah Care » (« Le Démon des femmes ») : mise à mort à Hollywood
Robert Aldrich, 1968
Après « Le Grand couteau » (1955), « What ever happened to Baby Jane? » (1962), avec « Le Démon des femmes » en 1968, Robert Aldrich achève sa trilogie au vitriol sur Hollywood, il n’épargnera pas non plus la télévision la même année avec « Faut-il tuer Sister George? ». Ici, Aldrich dénonce le vice, la corruption et la sottise de toutes les professions du cinéma : le producteur vulgaire et parvenu, le réalisateur à l’égo monstrueux, la commère de Hollywood vampiresque et l’actrice fanée junkie. Seul l’agent des stars, déjà affublé d’un cancer du pancréas, qui lui vaudra des sarcasmes tout le long du récit, échappe à la galerie de monstres.20 ans après la mort trouble de Lylah Care,
célèbre star de Hollywood, mix de Marlène et Marilyn, l’impresario qui l’avait découverte autrefois dans un bordel de Berlin, tombe sur son sosie en la personne de la starlette Elsa Brickman. Connaissant le projet vélléitaire de Lewis Zarkan, réalisateur déchu, mari et pygmalion de Lylah Care, de porter sa biographie à l’écran, il lui propose de rencontrer Elsa. Ensuite, il va falloir convaincre le producteur d’un grand studio, de financer le film, un type survolté et vantard encore plus satisfait de sa réussite sociale que cupide, à qui Aldrich fait dire qu’il produit du cinéma et pas du septième art!
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Après avoir tenté faiblement de résister au système, Elsa, qu’on coiffe, maquille et habille de la même robe en soie blanche que Lylah Care sur son portrait dans l’escalier est jetée en pâture au tout Hollywood lors d’une réception. Elsa va alors se laisser envoûter par le souvenir de la morte, prenant mentalement sa place, parlant comme elle, même en dehors du tournage, tombant amoureuse de Zarkan avec qui elle a une liaison. L’ambiguité est à son comble quand le groupe projete à Elsa, les premiers temps, les vieux films de Lylah Care, Zarkan stupéfait qu’elle connaisse déjà tous les dialogues par coeur, moins innocente qu’on ne la présente avec son petit manteau marron, ses cheveux marron et des lunettes. Avec cette scène, Aldrich démolit le personnage de la jeune fille pure qu’il a construite sous-entendant une Elsa Brikman finalement prête à tout pour devenir une star, elle aussi.
Les flash-backs sur la mort de la vraie Lylah Care, poursuivie par un pervers et tombant de l’escalier, sujette au vertige, sont complètement grand-guignolesques, surtout le premier : en noir et blanc brumeux cerclé de rouge celui qui raconte une première version de la mort de Lylah avec Elsa en médaillon encore jeune femme sage. Une version que va raconter Zarkan à Elsa lors de leur première rencontre, ou plutôt qu’il va faire raconter par une femme inquiétante qui habite chez lui, Rossella, ancienne actrice vieillissante, amoureuse du fantôme de Lylah (qu’elle avait initiée à la drogue) et, au passage, toujours entichée de Zarkan qui l’avait remplacée par Lylah. Dans le second flash-back, Elsa rebaptisée Campbell se prend souvent pour Lylah Care, confuse, subjuguée par Zarkan qui l’utilise et l’humilie, dans le médaillon, c’est une Elsa/Lylah blond platine ; enfin dans le dernier flash-back à la fin du film, Elsa tentant de redevenir elle-même au trapèze qu’elle a pratiqué jeune, allant en vérité défier la mort pour bluffer Zarkan, ici, Aldrich a coiffé la dernière Elsa d’une perruque blonde à frange vulgaire genre Crazy Horse. Mais le plus frappant, c’est encore le son, dans ces flash-backs, Lylah Care parle d’une voix rauque caricaturée de travesti hantant les mémoires, une confusion d’ailleurs entretenue ici et là sur le sexe et la sexualité de Lylah Care, dans le premier flash-back, elle était poursuivie par un homme, dans le second, on démasquait le poursuivant s’avérant être une femme déguisée en homme… De la même façon, Lylah formait une sorte de ménage à trois avec Rossella et Zarkan qui se disputaient ses faveurs. Le plus étrange étant encore que la mort de Lylah est survenue le jour-même de son mariage avec Zarkan…
La dernière scène est d’une audace insensée : Zarkan va provoquer sciemment la chute d’Elsa Campbell du trapèze afin de filmer sa mort en direct pendant que les équipes de secours s’affairent sur le plateau. Basculement d’une hypertrophie de l’ego du réalisateur, du créateur démiurge, dans la démence pure et simple où la réalité n’a plus de sens que ce qu’on pourra en tirer sur l’écran (et redorer par là le blason terni du grand Zarkan). On voit donc dans un film des studios Hollywoodiens un réalisateur filmer un snuff movie sous le nez de toute une équipe… La drogue dure ici n’est même plus l’argent mais la recherche ou le maintien de la célébrité (plus proche de la déification que du pouvoir) qui va conduire à la mort. Hors du champ de la célébrité perdue, tous les personnages sont déjà mort-vivants avant même l’irruption d’Elsa dans ce microcosme macabre, le réalisateur est cloîtré dans sa maison mausolée, l’ancienne actrice bisexuelle se drogue à mort, l’impresario est condamné par un cancer.
Bien entendu, Aldrich ayant eu la perversité d’engager Kim Novak un peu sur la touche à Hollywood, dix ans après « Vertigo », de reprendre le thème du vertige et du double, on pense à Hitchcock pour ce film-là mais également pour un autre film à parenté plus lointaine : « Rebecca » où le fantôme de la première épouse morte occupe tout l’espace… Une fin complémentaire, comme si ça ne suffisait pas, est la diffusion d’une réclame (pub) pour chienchien qui aime son Barkwell (aboie-bien) interrompant Zarkan qui a dépassé son temps d’antenne, chez la ménagère de la pub, accourent alors vars la gamelle du chien, une meute prête à s’entretuer pour une boite de Barkwell, immense! Kim Novak est éblouissante dans ce rôle tragiquement ambigu et manie les intonations, les voix, passant d’une voix « normale » à une voix rauque, avec un accent allemand plus ou moins violent, le regard pur d’Elsa cédant la place à une expression de garce dégénérée quand elle joue Lylah, à une manière intermédiaire plus nuancée quand Elsa ne sait plus qui elle est, habitée par le fantôme de Lylah en dehors du plateau. On n’oserait jamais refaire un film d’une pareille lucidité et férocité aujourd’hui! On pense néanmoins souvent à l’influence qu’a pu avoir Aldrich sur De Palma dans les films d’Aldrich de cette veine que ce soit « Pas d’Orchidées pour Miss Blandish » (1970), « Faut-il tuer Sister Georges? » (1968) ou ce « Démon des femmes » (1968).Voir les autres critiques des films de Robert Aldrich sur CinéManiaC…
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