« The Night of the hunter » (« La Nuit du chasseur ») : édition ultime DVD de l'unique film de Charles Laughton, réalisateur
Pitch
Un prédicateur psychopathe, serial killer, est à la recherche du magot de son ancien compagnon de cellule en prison. Il n'hésite pas à épouser sa veuve pour interroger les enfants qui, eux seuls, savent où l'argent est caché.
*** dans le livre du coffret DVD, Philippe Garnier pense que Charles Laughton voulait que tout le monde joue les scènes comme il les auraient jouées, c’est à dire en surjeu…
Au début des années 50, Charles Laughton, passé de mode, que le producteur Paul Greggory a remarqué dans un show TV, a accepté sa proposition de lectures publiques de la Bible dans tous le pays, une tournée à succès que des acteurs comme Tyrone Power viendront rejoindre. En 1954, Greggory lui propose de réaliser un film adpaté du livre de David Crubb « La Nuit du chasseur », réticent, dans un premier temps, Charles Laughton s’entoure de talents : David Crubb ne se déplaçant pas vers LA, on confie le scénario à James Agee (trop long, Laughton réécrira le scénario), le directeur de la photograpie, Stanley Cortez, surnommé « Le Baron », qui a signé « La Splendeur des Amberson » (1942, chef d’oeuvre absolu). Mais aussi, outre Robert Mitchum et Shelley Winters,
Charles Laughton va chercher la mythique Lillian Gish, 61 ans, pour interprêter le troisième rôle principal.
photo Wild side vidéo
L’histoire de « La Nuit du chasseur » est simple, inspirée d’un fait divers qui eut lieu dans la Virginie natale de David Crubb, l’auteur du livre, où un serial killer fut arrêté en été 1931, un voyageur de commerce nommé Harry Powers (Crubb en fera le pasteur Harry Powell), qui tuait les veuves pour les dévaliser. Durant la Grande dépression aux Etas-Unis, deux enfants, John et Pearl, vont voir leur père, Ben Harper, arrêté sous leurs yeux car, en allant chercher sa paye à la banque, ce dernier, inquiet pour nourrir sa famille, a tué deux hommes et volé $10 000. Par le plus grand des hasards, le pasteur Harry Powell va partager la cellule de Ben Harper en prison et l’entendre parler dans son sommeil d’un magot caché… Ben Harper est exécuté et Harry Powell libéré qui avait été arrêté pour un simple vol de voitures.La manière dont Charles Laughton met en place les choses est très moderne : d’abord, des enfants découvrent un cadavre dont on ne montre que, dépassant d’une porte entrouverte, les mollets et les chaussures à talons d’une femme, le groupe d’enfants filmé de dos en train de regarder la scène. Ensuite, on découvre l’auteur du meurtre, le pasteur Harry Powell, au volant de sa voiture qui se plaint de sa vocation et lassitude à tuer des veuves pour voler leur bas de laine, monologue avec Dieu d’un illuminé taré. Plus tard, une scène très forte, le pasteur est surpris par la police dans une salle de spectacle où une danseuse demi-nue minable se trémousse sur scène dans un pagne doré ; juste avant son arrestation, assis dans la salle, le pasteur tripote son couteau dans sa poche qui transperce le tissu de sa veste, sa répulsion pour les femmes enpreint son visage… Dans le livre qui accompagne le coffret, on lit qu’au départ, dans le scénario, il s’agissait d’une femme nue et d’une lame de couteau transperçant plus explicitement un pantalon… Mais censure oblige,
Charles Laughton a édulcoré. Les tatouages du pasteur Powell, « Hate » sur une main et « Love » sur l’autre, avec lesquelles il aime tant faire un tour pour enjoler ses interlocuteurs (où le bien prend le pas sur le mal), prennent curieusement, de nos jours, un ton plus que moderne.
Une horreur viscérale des femmes qu’on retrouve exprimée de manière plus lyrique dans la scène de la nuit de noces du pasteur Powell et de Willa Harper, la veuve et mère des deux enfants : le sermon du pasteur à une femme qui le dégoûte, son épouse s’approchant du lit conjugal, qu’il déclare faite pour la procréation et non pour la luxure. La pauvre Willa, qui a trouvé le couteau dans la poche du veston de son nouvel époux (scène où Shelley Winters en sourit niaisement seule « Ah! les hommes! »), va passer de la sensualité à l’hystérie religieuse et finir par attendre la mort dans une scène de meurtre filmée comme une scène d’amour.
PS. quand on a vu « Crimes of passion » (1984) de Ken Russel, on se rend compte que le personnage de curé défroqué cinglé d’Anthony Perkins est largement inspiré du pasteur Powell. On pense aussi à « La Nuit de l’iguane » (1964) de John Huston avec un autre personnage central de prêtre défroqué, le Révérend Shannon (Richard Burton).
photo Wild side vidéo
Car, bien évidemment, le pasteur a retrouvé Willa Harper et ses deux enfants dont il essaie en vain de soutirer le lieu de la cachette de l’argent volé par leur père. Le film est scindé en deux parties, le mariage du pasteur Powell avec Willa Harper, sa lutte avec les enfants qui refusent de lui dire où est l’argent. Et les enfants, John et Pearl, ayant fui leur maison après un drame, devenus orphelins, recueillis par Rachel Cooper, sorte de sainte, l’antithèse de Powell, protégeant tous les orphelins de la terre.
La première partie est la plus forte, dans l’interview de Robert Mitchum (bonus DVD), ce dernier dit qu’il voulait forcer sur la dimension horrifique de son personnage mais que Charles Laughton n’a pas voulu. Sans doute n’a-t-il pas voulu non plus forcer le récit vers l’horreur, mais, au contraire, lui donner un volet rédemption avec la seconde partie. Peut-être est-ce pour cela que le film fut un bide à sa sortie, trop mélange des genres, horreur, comique, histoire de Croquemitaine, serial killer banalisé, etc… La vérité de l’échec du film est sans doute là : Laughton voulait raconter une histoire à hauteur d’enfant, une histoire qui fait peur aux enfants et qui, contre toute attente, finit bien. On dirait qu’il y a deux films, le poison (Powell épouse Willa Harper et menace les enfants) et l’antidote, les enfants rencontrent Rachel Cooper, le mal et le bien, film bicéphale sous tous les angles.
Le principe de ces coffrets spéciaux, outre la floppée de bonus, est l’adjonction d’un vrai livre écrit spécialement pour l’occasion, on l’avait déjà vu avec l’édition DVD du « Rôdeur » de Losey (collection « Art of noir », volume 1, je parlerai dans un post ultérieur du volume 2, « Woman on the run » de Norman Foster, à paraître le 14 novembre). Ici, 200 pages passionnantes avec plein de photos (j’ai adoré lire ce livre)…
« La Nuit du chasseur », édition Ultime, Wild side vidéo, sortie 31 octobre 2012
(édition limitée à 5000 exemplaires et numérotée)
2 DVD + BLU-RAY +CD AUDIO
LIVRE :
« La Main du saigneur » de Philippe GarnierBONUS :
« De David Crubb à Charles Laughton »
« Charles Laughton au travail » documentaire de Bob Gitt réalisé à partir des rushes du tournage du film
« Entretien avec Robert Mitchum » (1982)
« Entretien avec Stanley Cortez » (1984)
Promo TV (1955) avec Lillian Gish et Shelley Winters (« Ed Sullivan show)
BA
Notre note
(4 / 5)
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