« The Prowler » (« le Rôdeur ») : l’homme fatal

Joseph Losey, 1951, sortie DVD 12 octobre 2011

Pitch

Appelé une nuit en patrouille chez une jeune femme séduisante qui a cru voir un rôdeur dans son jardin, un policier, mal dans sa peau, imagine un plan machiavélique pour refaire sa vie.

En Californie dans les années 50, Susan, femme séduisante et coquette, croit apercevoir un rôdeur par la fenêtre de sa salle de bains. Une patrouille de police arrive sur les lieux avec deux flics aussi différents que possible l’un de l’autre : Bud, le policier modèle, passionné de vieilles pierres, et Webb, le prototype du raté, frustré d’une autre vie, furieux d’être obligé d’être un simple policier : c’est sur le personnage de Webb que s’appuie la trame typique du film noir avec ses assises sociales sur fonds de rêve américain, ses personnages veules, amoraux, prêts à tout pour sortir de leur condition sociale médiocre. Si le film noir a souvent une femme fatale qui va booster la chute du héros, ici, on a affaire à un « homme fatal », la femme étant, en premier lieu, sa victime, bien que sa complice passive. C’est la marque Losey dans un registre où on n’a pas l’habitude de le trouver, le Losey de la période américaine (1951).
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photo Wild side vidéo

Susan passe toutes ses nuits seule en écoutant d’une oreille distraite son mari à la radio dont les émissions se terminent par un « à bientôt Susan! » signifiant qu’il va rentrer chez lui. Un mari riche, plus âgé, que Losey ne montre jamais sauf une fois : quand il est tué à bout portant par Webb. Car Webb va revenir tous les soirs chez Susan et vivre avec elle une liaison passionnée, surtout de sa part à elle. Ayant trouvé par hasard un formulaire d’assurance vie dans les tiroirs du mari de Susan, Webb a sa petite idée sur la suite de l’histoire. D’autant que son rêve est d’acheter un motel à Las Vegas, la ville du jeu (pas choisie par hasard) qui le fascine, où Webb passe tous ses congés.A cause de la censure, le scénariste a été obligé de modifier le récit pour le rendre moralement acceptable : d’une passion sexuelle de Susan pour un rôdeur, on a fait une histoire d’amour où Susan serait tombé amoureuse de Webb. Mais la duplicité de Susan est évoquée de nombreuses fois dans cette manière qu’elle a de provoquer autant que de craindre un rôdeur, ne serait-ce que la première scène (avant le générique) où elle s’étonne qu’on la reluque, en tenue légère, derrière la fenêtre de sa salle de bains. La solitude de Susan, dans un LA jamais cité où elle se sent une étrangère, desperate housewife perdue dans cette hacienda déserte et immense, habitée par l’absence de son mari, au propre (il passe ses nuits à la radio et surveille à distance son épouse) et au figuré (un mari impuissant transformé plus tard, par la confidence de son frère, en homme qui ne peut pas avoir d’enfants).


photo Wild side vidéo

Très vite, la dimension de désir d’ascension sociale est posée : Webb regarde l’hacienda de Susan et son mari qu’il ne peut pas s’offrir, logeant lui-même dans une chambre miteuse, dépensant tout son argent en costumes voyants pour séduire cette femme dans laquelle il a vu une solution de sortie. Même quand tous les deux se souviennent qu’ils sont originaires de l’Arkansas, Webb rappelle à Susan qu’elle habitait, enfant, le quartier chic et lui le quartier pauvre. Pourtant, on a le partage des frustrations chez les deux personnages : elle voulait être actrice, il aurait voulu être un grand sportif, mais là où ils sont inverses et complémentaires c’est qu’elle veut des enfants et, lui, veut un motel à Las Vegas, où il s’imagine qu’on peut gagner le plus d’argent  possible en en faisant le moins possible. Contrairement à beaucoup de films noirs, ce n’est pas la rencontre de deux amants maudits (« Le Facteur sonne toujours deux fois ») mais la capture d’une proie facile par un flic ripou, Webb (la toile), une Madame Bovary surexcitée sexuellement et en quête de maternité.


photo Wild side vidéo

Bien que la presse de l’époque ait comparé « The Prowler » (« Le Rodeur ») avec le sublime « Double idemnity » (« Assurance sur la mort »), il n’y a qu’un seul point commun entre les deux films : la police d’assurance vie du mari. Pour le reste, ici, Losey a de l’empathie pour ses personnages alors que Wilder n’en a aucune, sans parler de l’image étrangement claire chez Losey alors que chez Wilder, l’image empruntée à l’expressionnisme allemand est aussi noire que les pulsions des personnages (autre définition du film noir, la corrélation en noir forme/fond). Susan, la femme centrale du « Rôdeur », est très avantagée par apport à la Phyllis d’« Assurance sur la mort », vraie garce sans scrupules ; une femme adultère mais humaine, culpabilisée (ceci dit, Susan vient des beaux quartiers et pas Phyllis, prête à tout pour y aller…) Webb n’est pas non plus un monstre à temps complet, victime de la société marchande (le titre du film, tiré du livre, était « The Cost of living »/ « Le Coût de la vie »). Quant au décalage de la musique sirupeuse sur laquelle on découvre Susan dans sa salle de bains, les disques qu »elle écoute, seul Losey l’ose.Film sous censure à tous points de vue, le scénariste (Dalton Trumbo) qui faisait partie de la Liste noire est au générique sous un faux nom (et il interprète sous un autre nom la voix radio du mari), Sam Spiegel, le producteur, qui avait créé avec John Huston une société de production, apparaît sous le nom S.P. Eagle. Mais la présence de l’actrice Evelyn Kayes (lassée d’être cantonnée à avoir été Sue-Ellen, la soeur de Scarlett dans « Autant en emporte le vent ») dans le rôle de Susan, à l’époque l’épouse de Huston, est une sorte de cadeau d’adieu du réalisateur à une femme avec laquelle il n’arrivait justement pas à avoir d’enfants. »Le Rôdeur » est le premier film d’une nouvelle branche

de la collection « Classics confidential » chez Wild side vidéo, la collection « Art of noir » avec une particularité : dans le coffret DVD, on trouve un passionnant livre de 65 pages « Clandestine grandeur » écrit spécialement pour l’occasion par un expert : ici, Eddie Muller, écrivain, président de la « Film noir foundation » qui a permis la restauration du « Rôdeur » (le film n’était plus visible depuis sa sortie en 1951), organisateur à San Francisco du « Noir city film festival ». Du sur mesure pour l’amateur de film noir. A noter parmi les prochaines parutions (2012)  : « Woman on the run » de Norman Foster, « La Porte du diable » d’Anthony Mann.

Coffret prestige DVD « Le Rôdeur »

+Livre « Clandestine grandeur », art of noir vol.1
Wild side vidéo, sortie 12 octobre 2011
Bonus : « The Cost of living : creating the Prowler » qui résume en partie ce que raconte le livre. Avec des interventions de James Ellroy, membre actif de la « Film noir foundation »
www.filmnoirfoundation.org

 

Notre note

4 out of 5 stars (4 / 5)

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Posted by:

Camille Marty-Musso
Créateur et responsable éditorial du site www.cinemaniac.fr, en ligne depuis janvier 2006.

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