« Un Balcon sur la mer » : une femme, une ville, une vie…
Pitch
Un agent immobilier heureux en famille revoit par hasard un amour de jeunesse qui était sa voisine à Oran dans son enfance... Avec elle, la résurgence de tout un passé occulté mais intact.
Quand Marc, agent immobilier à Aix, revoit part hasard son amour de jeunesse (il avait douze ans) lors d’une transaction immobilière, ce n’est pas seulement sa voisine d’Oran qu’il retrouve mais tout un passé occulté dont on ne parlait pas dans sa famille, le départ traumatique d’Algérie en 1962, ce déracinement qui hante encore ceux qu’on a appelé à l’époque « les pieds noirs ».
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photo EuropaCorp
Marié à la fille du propriétaire d’une agence d’immobilier à Aix en provence, Marc a le profil du gendre idéal avec une vie douillette, une femme sympa, une fille, une belle maison à la campagne. Soudain, la vente d’une bastide aux environs d’Aix, une femme blonde, séduisante et glacée, mandatée pour signer le compromis de vente, lui rappelle un passé enfoui. Marc croit reconnaître Cathy qui habitait en face de chez lui rue Lamartine à Oran, la force évocatrice d’une adresse est bien amenée, ces noms de rue gravés dans le marbre de la mémoire dont on se souvient trente ans plus tard, porteuses des années d’une enfance plus ou moins heureuse mais synonyme d’une jeunesse qu’on ne retrouvera jamais, quand on a oublié des adresses beaucoup plus récentes.
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En revoyant celle en qui il reconnaît Cathy, Marc ne va pas seulement retrouver son amour d’adolescence pour sa voisine solaire de l’immeuble d’en face mais surtout être ébloui par la lumière d’Oran du début des années 60. Submergé par le revécu des souvenirs douloureux du départ forcé d’Algérie que sa famille lui a enseigné à oublier, on n’en parlait jamais, dit-il. La question de Marc à Cathy demandant « et vous en quelle année êtes-vous partis? » en dit long sur la permanence du traumatisme des rapatriés qui n’oublieront jamais, plusieurs décennies plus tard (presque 50 ans), la date du départ d’Algérie, le début de l’exode. Une scène très touchante est dans ce sens lorsque Marc va voir le père de Cathy qui le reçoit en étranger qu’il vouvoie, quand Marc lui dit qu’il a connu sa fille dans son enfance, l’homme change de ton, le regarde autrement, avec tendresse et le tutoie, lui demande, comme si il rajeunissait d’un coup, comme s’adressant à un enfant : « tu es qui toi? »
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Bien que la réalisatrice parle d’un thriller sentimental, on a très vite les clés de l’identité brouillée de Cathy dont Marc n’est finalement plus tout à fait certain que c’est elle (mais, au fond, cela a-t-il vraiment de l’importance?), le sujet est ailleurs, dans la prééminence du passé, son pouvoir de tout balayer de ce qu’on avait construit dans la vie adulte. Pas une minute, le gendre parfait ne va éprouver de culpabilité à tromper sa femme en vivant une histoire d’amour avec cette inconnue connue, le film montre très bien comment Marc est sidéré par cette rencontre, au sens de frappé par la foudre du souvenir, incapable de s’y soustraire. Plus fort encore, le support amoureux du souvenir des années de jeunesse serait presque interchangeable, s’il ne s’agit pas de la vraie Cathy, c’est son double avec les mêmes souvenirs, la même douleur partagée des paradis perdus car l’idée du paradis doit son pouvoir immense à ce qu’on l’a perdu…Toutes ces années à reconstruire une vie sur du sable, semble dire la réalisatrice, un fantôme d’un passé qu’on aurait juré avoir oublié et tout s’écroule, tout renaît, on bascule d’un bonheur raisonnable au revécu d’un amour fou interrompu, devenu éternel, dont on pensait avoir fait le deuil… La blondeur de Cathy adolescente et la luminosité des rues d’Oran, le toit de l’immeuble innondé de lumière blanche où se retrouvaient les adolescents, se superposent. Ce quartier qu’on va retrouver de nos jours tellement changé quand Marc retourne à Oran tandis qu’on repasse en boucle des flash-backs tel qu’il était dans les années 60 avec la devanture de la droguerie, les immeubles blanc immaculé, les trottoirs déserts ou presque.
Jean Dujardin trouve ici un vrai directeur/directrice d’acteurs, c’est la première fois que je le vois jouer aussi sobrement, aussi juste, il semble que Nicole Garcia lui ait insufflé sa nostalgie pudique du pays de son enfance à elle. Marie-José Croze, abonnée aux rôles de femmes aimées fantômatiques, est parfaite, un peu la Naomi Watts francophone. Le film est pudique, presque froid parfois,
d’une émotion contenue de ceux qui redoutent de s’épancher à la hauteur des regrets qu’ils s’interdisent depuis trop d’années. Ce thème d’un amour de jeunesse qu’on retrouve tant d’années plus tard, surprésent par son absence obsédante, Nicole Garcia l’avait déjà abordé dans son meilleur film (à mon avis) : « Place Vendôme » avec le couple Deneuve et Dutronc.PS. à noter tout de même que si le couple quadragénaire Dujardin/Croze est censé vivre en 2009 et être parti à 12 ans d’Algérie en 1962, les personnages devraient être un tantinet plus âgés…
Notre note
(4 / 5)
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