« Un Tramway » : une étonnante aversion pour la simplicité
Pitch
Blanche Dubois, héritière ruinée, femme-enfant vieillissante, veuve d'un mari homosexuel qui s'est suicidé, débarque dans l'appartement de sa soeur Stella mariée à Stan Kowalski à laquelle cette dernière est entièrement soumise sexuellement. Professeur de littérature au collège, Blanche, fragile psychologiquement, prétend avoir pris un congé scolaire, et toise son beau-frère qu'elle trouve vulgaire, en retour, il va la démasquer et la faire plonger dans la folie...
D’après la pièce de Tennessee Williams mis en scène à Broadway en 1947 par Elia Kazan, puis, le film en 1951.
2h45 sans entracte… Dans un café-restaurant après la pièce, une tablée de spectateurs atterrés qu’on leur ait tripatouillé leur pièce, rancuniers, certains en sont sortis avant la fin… Il faut dire qu’on tend l’oreille pour retrouver les fragments épars de la pièce de Tennessee Williams enchassés dans un charabia mythologique, asphyxiés de mille idées de mise en scène toutes plus voyantes et bruyantes les unes que les autres avec un seul point commun : ne pas faire simple, surcharger l’espace et le son, et au passage tenter de choquer le bourgeois un peu comme dans les happening des années 70… Costumes des femmes genre Loana du « Loft » en plus trash, leggings en lamé noir, robe en lamé or, chaussures vertigineuses en vernis rouge, botillons panthères sur talons aiguilles (St Laurent/le smoking et Dior pour Isabelle Huppert)… Une tendance aigüe aux allers et venues en sous-vêtements pour montrer le laisser-aller chez Stella, la soeur de Blanche, et son monstre de mari, Stan, le polonais, quand ce n’est pas le copain Mitch passé du costume/perruque au short de boxe rouge sang/calvitie qui tombe le tout pour marcher vers la sortie nu comme un vers.
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Dès le départ, un décor sophistiqué, un loft immense avec un bowling, une chambre, un salon, surmonté d’une une sorte de banc en verre mobile avec à gauche une baignoire et une cuvette de WC, à droite un lavabo, au centre, Huppert posée comme « L’Ange bleu » avec la perruque de China blue dans Ken Russel, culotte et caraco de soie noire, corps d’adolescente. Monologue d’ouverture d’Huppert, ivre morte, et il y en aura des monologues d’Huppert superstar, au début, on tique, ensuite, on s’en réjouit, on ne tiendrait pas la demi-heure sans sa présence dans la pièce. La pièce? Un show, un spectacle, une installation de vidéaste, les visages filmés reproduits sur un écran en arrière-plan, de la musique à fond la caisse, Huppert/Blanche en baby-doll en lamé blanc et noir danse comme une toupie, un air de tango, Blanche en robe dorée séduit Mitch, ou encore Huppert qui prend le micro et harangue la salle…
Dans cet écrin kitschissime, hybride de Las Vegas sur Seine et de design tendance, Huppert irradie, semblant avoir absorbé la logistique depuis longtemps pour flotter au dessus de la mêlée, habitée, transcendée par ce que sans doute elle seule ressent des affres de Blanche Dubois (et qu’elle peut partager avec le spectateur qui a vu le film ou la pièce « normale » ). Un spectateur soulé d’effets qui, passé celui de surprise, effectue du repérage, reconnaissant quand revient le texte d’origine, réveillé en sursaut par je ne sais quel texte additionné, dit, chanté, écrit et défilant sur l’écran… L’interminable dernière demi-heure conduit à ce paradoxe : ayant tellement tout surchargé, la scène clé où Stan viole Blanche quand sa soeur Stella est train d’accoucher à l’hôpital est quasiment zappée, faute de pouvoir ajouter encore, on soustrait… La toute fin, quand Blanche est emmenée à l’asile, est plus sobre (5 minutes), sauf qu’on a fait impasse sur l’impact du viol sur la santé mentale de Blanche qui perdu la tête définitivement après cette nuit funeste. Double viol du corps et du cerveau de Blanche qui refuse la perte de sa jeunesse presque moins que celle du monde de son enfance qui n’existe plus, autrefois riche héritière dans un domaine du sud… Les autres acteurs, excepté Florence Tomassin/Stella font peu ou prou de la figuration intelligente, quant à Stan (qui a la voix de Sergi Lopez…), faute de chercher un impossible équivalent à Brando, on l’a carrément dévitalisé, le phrasé monocorde, le physique quelconque, une brute ordinaire dénué d’une once de sensualité (l’anti-Brando). Censé s’être exporté de La Nouvelle-Orléans à Paris on oublie vite l’arrêt « Champs Elysées » et finalement l’action de ce « Tramway » ne se passe plus nulle part. Un téléphone portable, un ordinateur, un « je baise » et « je m’en branle » par ci par là nous signalent qu’on n’est plus dans les années 50 mais en 2010.
Malgré tout… la performance d’Isabelle Huppert est telle que ça vaut le détour en spectateur averti…
Vivien Leigh et Marlon Brando dans « Un tramway nommé désir » d’Elia Kazan (1951)
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