« Une Histoire d’amour » : une histoire de titre
Pitch
L'affaire Edouard Stern, riche banquier français installée à Genève, tué par balles en 2005 par sa maîtresse, Cécile Brossard, avec qui il entretenait une liaison toxique pour les deux partis depuis quatre ans.
Le titre choisi par la comédienne Hélène Fillières pour son premier film en tant que réalisatrice donne le ton du parti pris indiscutable de son projet : ce fait divers que fut l’affaire Stern, dont l’écrivain Régis Jauffret a tiré le roman « Sévère » qu’elle adapte ici, est pour elle une histoire d’amour et basta. Donc, on serait inspiré d’en tenir compte dès fois qu’on aurait tendance à penser qu’un banquier suisse retrouvé assassiné par balles, nu dans une combinaison de latex, comme suite à une histoire d’un million de dollars qu’il aurait donné et repris à sa maîtresse, ça ne relèverait pas vraiment du crime passionnel. Et pourtant, c’est ce que va tenter de démontrer le film et bien au delà, non seulement, la maîtresse du banquier va l’assassiner parce qu’il l’a humilée en lui reprenant cet argent mais encore, il va quasiment lui demander de le tuer lors d’une scène où il lui apprend à tirer, lui offrant des gants et à lui un revolver dont il lui montre où il le range.
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Je n’ai pas lu le livre, peut-être la réalisatrice reprend la théorie du livre, mais, ayant été innondée d’articles sur l’affaire Stern, je « connais » les personnages et la première chose qui ne colle pas, c’est le choix de Laetitia Casta dans le rôle de Cécile Brossard, la maîtresse d’Edouard Stern, ce richissime banquier français divorcé habitant Genève qu’on va retrouver assassiné dans sa combinaison de latex, scandale, etc… Ce qui m’avait frappé à l’époque, c’est que la jeune femme n’était pas spécialement jolie et qu’on la présentait comme plutôt limitée mentalement. Or, choisir une top model bombe sexuelle/Laetitia Casta, que la réalisatrice dans le DP qualifie elle-même d' »inacessible » pour le banquier, c’est le contre-sens assuré. Laetitia Casta est présentée comme introvertie, mutique, mystérieuse, habillée de noir, chignon et talons aiguille en permanence, un vrai fantasme ambulant de « veuve noire »… Quant à Benoit Poelvoorde, qu’on découvre nu et ligoté dans une cabine d’ascenseur, bien que la réalisatrice (DP toujours…) dise qu’il a eu du courage d’interprêter ce rôle dont il se sentait proche, etc…, c’est aussi la première fois que je le vois en difficulté sur un rôle, un air douloureux plaqué non stop sur le visage, on est bien loin de sa performance de serial killer chez Anne Fontaine dans « Entre ses mains ». Pour aller dans le sens de la thèse que Cécile Brossard, la maîtresse de Stern était une victime autant que sa victime, usée par quatre ans d’humiliations reçues et infligées, il aurait fallu choisir une actrice crédible dans ce rôle.
photo Wild Bunch Distribution
Mais qu’ont tellement à dire les personnages du film englués dans une mise en scène ultra-sophistiquée réduisant les dialogues à des silences censés être lourds de sens, à quelques échanges agressifs? Aucune présentation des personnages au départ, on suppose que les spectateurs connaissent tous l’affaire Stern (c’est vrai qu’il suffit de lire le pitch) et en même temps vont jouer le jeu que ces deux-là n’ont rien à voir avec l’affaire (on ne prononce jamais leur nom) telle qu’elle a été décrite par les médias puisqu’ils vivent une histoire d’amour « hors normes » que seule la réalisatrice a comprise : et si ça nous dérange, c’est que cette affaire nous renvoie à nos pulsions les plus sombres, donc, on préfère dire que ça ne nous dérange pas (les pulsions sombres, moi jamais!)Pour un premier film, quelle assurance dans la recherche de style, rien n’est naturel, tout semble calculé pour l’esthétique, la musique, les plans comme des tableaux, la quasi disparition du langague, la pénombre, on dirait que la réalisatrice voudrait noyer son histoire dans une autre dimension où on ne dirait presque rien, on n’y verrait pas grand chose non plus mais le reste… quelle beauté! (genre image érotico-chic pour « Vogue »). Exception parlante, quand, après l’assassinat, la maîtresse de Stern, paniquée, prend l’avion pour l’Australie d’où elle ne va pas tarder à revenir (heureusement qu’on a lu la presse à l’époque pour suivre…), on imagine une histoire d’amour possible avec un beau mec tombé du ciel (Reda Kateb) sur un fauteuil de business class. Pour être tout à fait précis, il y a trois hommes autour d’une femme dans le film générant trois sous-histoires de taille inégale : le mari (Richard Bohringer), l’amant (sujet du film) et le « mec trop normal » (inventé pour la fiction) qui ne l’intéresse pas…A qui s’adresse ce film? Aux incurables sentimentaux qui voient de l’amour partout pour faire passer la pilule de relations incompréhensibles? Dans la vie, Cécile Brossard était une sorte de call-girl experte en SM, bien connue d’un certain monde la nuit à Paris, qui était visiblement tombé sur un homme complexe, connu pour sa férocité en affaires, qui voulait aller encore plus loin que les jeux qu’elle pensait maîtriser… Jusqu’à la mort? Possible… (je pense au film « Noir et blanc » (1986) de Claire Devers, d’après une nouvelle de T. Williams, où, chemin faisant dans l’escalade de la violence des rapports SM, un petit homme malingre demande à son amant, un grand masseur noir, de le tuer, avec une scène finale traumatisante mais plausible, dans la logique du récit, qui n’a pas l’hypocrisie de s’embarquer dans des sentiments amoureux justifiant le tout). Pour ceux qui ont l’estomac, mieux vaut aller acheter le DVD de « Noir et blanc », voire un livre sur l’affaire Stern (où ce qui frappe, c’est que le meurtre a lieu le soir d’une journée où Cécile Brossard a téléphoné à sa banque le matin qui lui a confirmé qu’elle ne toucherait pas le million de dollars déposé sur son compte par Stern qui l’a fait bloquer).
Notre note
(2 / 5)
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